mercredi 2 janvier 2008

Démons (6)

Le 31 décembre, dans la journée, un mec m’appelle. En même temps que je le reconnais, j’entends bien qu’il est ivre mort. Carbonisé de chez carbonisé. La dernière fois qu’on s’est vus, il y a 5 ans, il avait essayé de me faire signer une attestation comme quoi il était bien présent aux réunions AA, dans le but d’obtenir un adoucissement de la sanction pénale qui allait lui tomber dessus, suite à récidive de conduite alcoolisée sans permis. Comme il est chef d’entreprise, il n’a pris que 6 mois de gnouf, on le laissait gérer ses 13 salariés dehors dans la journée, il ne réintégrait la prison que le soir. Et puis, plus de nouvelles… là, il prétend en prendre et essaye d’en donner, et que son entreprise va très bien, et qu’il va épouser une africaine (je l’ai connu veuf se consolant au p’tit blanc, qu’il venait siroter avec ma femme vu qu’on était voisins mitoyens fraîchement débarqués dans la région et que j’avais brisé la glace après une soirée entière passée à subir les infra-basses de “Dazed and Confused” de Led Zeppelin qu’il avait passé en boucle et qui pilonnaient la cloison pourtant fort épaisse de ce corps de ferme rénové où nous cohabitions) et qu’il écoute toujours hendrix, mais son élocution est tellement balbutiante et pâteuse, on dirait un mort-vivant combattant sa propre rigidité maxillaire, c’est aussi atroce que rigolo quand on a connu ça et qu’on en est sorti durablement, alors j’abrège ses souffrances. J’ai l’impression de m’entendre il y a 17 ans, et donc je suppose que c’est un appel au secours, et lui suggère d’aller se coucher et de me rappeler quand ça ira mieux, en essayant de ne pas le froisser. Sachant qu’il y a 50% de chances qu’au réveil il ne se souvienne pas de m’avoir appelé, et 49% qu’il en garde un souvenir tellement honteux et confus, et que l’orgueil qui l’a poussé à refuser d’admettre son problème d’alcool lui interdira tout aussi sûrement de recomposer mon numéro. Sur le moment, je lui ai demandé le sien, qu’il m’a débité avec un aplomb suspect, et qui s’est révélé évidemment faux.
Solitude, orgueil et malhonnèteté, le coquetèle des winners. A part le remercier intérieurement du sursaut de gratitude que j’éprouve déjà pour les mouvements d’abstinents, je ne vois pas ce que je peux faire pour lui. Finalement, peu de choses nous séparent : un seul verre, le premier. Et le fait qu’il a peut-être déjà couché avec une noire, l’enfoiré.

En 2008, si je ne tire pas encore sur les ambulances, je laisse la mienne au garage.



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