lundi 12 décembre 2005

Pluie d’insectes morts


Le 13ème guerrier, film de John Mc Tiernan, se passe au Xème siècle. Parce qu’il a séduit la femme d’un important dignitaire de Bagdad, Ahmed Ibn Fahdlan est contraint a l’exil en Asie mineure. Durant son voyage, il fait la rencontre de rudes voyageurs vikings, et entame une observation minutieuse de leurs moeurs. Ils se heurtent à une peuplade de barbares peinturlurés par une maquilleuse ayant un peu abusé de ses lectures sur le chamanisme. La nuit précédant un combat décisif, tous les guerriers se couchent paisiblement au campement, seul Ahmed est dans l’intranquillité :
"Comment pouvez-vous envisager de dormir dans un moment pareil ?
"Le Grand Ancètre a façonné notre destin du début à la fin il y a bien longtemps. Te cacher dans un trou de souris ne prolongera pas ta vie. La peur est un sentiment inutile. Ton destin est écrit."

Il y a un côté fataliste dans cette culture déconsidérée par l’occident qui a cru y déceler la négation du libre arbitre, l’absence de liberté, la résignation à son sort, aussi défavorable qu’il fût, au lieu de l’étude critique des conditions de sa naissance et de sa classe sociale, mais il y a un côté "acceptation de ce qu’on ne peut changer" empiriquement très fécond.
Pour ceux qui ont vu mon film "Aller simple" (consultable ici) j’y dépeignais la perte du corps comme métaphore du cyberspace, mais la perte de mon corps par l’abus informatique n’a plus rien de métaphorique pour moi. Comme me l’a fait remarquer une amie, "tant que ton esprit n’est pas dans ton corps, tu seras dans la merde."
donc je passe à une heure d’ordinateur par jour et je me mets au vipassana tel qu’il est proposé sur http://www.dhammadana.org/ en attendant de dégager un créneau pour une retraite de 10 jours. L’aspect obsessionnel de la pratique n’a pas de quoi me faire craindre de sombrer dans la démence : comme le mental s’attribue tout mérite, il risque simplement de me faire croire que je "fais" de la Pensée Perceptive, ce qui sera l’indice que je suis à côté de la platique !
…donc en une heure, difficile de faire mieux que d’aligner trois pensées et de se barrer après avoir épuisé ce crédit. Voici celles que je n’ai plus le temps de développer : elles sont venues, je les ai notées, elles sont reparties.
-Je comprends pourquoi je suis fasciné par le Mal : il est plus fort que Papa, qui faisait semblant de lutter contre sans vouloir admettre et encore moins reconnaitre que le Chevalier Blanc est parfois Marron Derrière. C’est très archaïque comme message, et pour ne pas l’entendre j’ai enluminé très tôt mes faiblesses, me protégeant de cette connaissance derrière des livres, des films, un catalogue inoxydable de citations, et l’ironie (la petite sagesse des destins inachevés)…
-Il y a toujours à distinguer "j’y renonce parce que c’est trop difficile" de "j’y renonce parce que c’est un chemin sans intérèt pour moi" pour éviter les malentendus intérieurs, sources de trop de leurres (sans l’argent du leurre.)
-Les choses restent là où on les a posées, ou là où elles sont tombées, c’est selon.
-Si j’étais ministre de l’économie émotionnelle, je privatiserais le désir et je nationaliserais la peur. C’est ce que font tous les gouvernements de droite dignes de ce nom.
-Je change des éclairages dans la maison. La fouille attentive des embases des luminaires du salon m’a permis d’exhumer des centaines de petits cadavres qui étaient tombés dans un réceptacle peu accessible ; je les ai recueillis dans ma petite pelle plastique, puis j’ai répandu une pluie d’insectes morts par la fenètre, à la grande surprise des piafs du quartier qui n’attendaient pas d’aide humanitaire avant Noël.
-La mort ne nous prendra que ce que nous avons cru posséder. Dépéchons-nous de guérir de cette maladie, à défaut de tout benner à la décharge.
-Imaginons un asiatique qui lise la Bible et qui se pique de devenir Jésus. Pourquoi nous fait-il plus sourire que tous ces occidentaux entichés de Bouddhisme ? Et comment ai-je pu m’illusionner, me satisfaire de ces lectures dont l’enthousiasme instantané ne débouchait sur rien ?
-Hier soir, je mets un disque de Jim Murple Memorial. Clara, 5 ans : "Wouah, papa, j’ai l’impression d’avoir 3 ans !" intrigué, je consulte la pochette : effectivement, on a beaucoup écouté ce disque en 2003 (comme elle est née en 2000, c’est facile de calculer son âge). Mais cette remarque me donne surtout à réfléchir à tous ces quadras, et moi le premier, qui écoutent leurs vieux Pink Floyd en espérant repasse par les trous de souris de l’attention musicale et se retrouver en 1977.
Raison de plus pour m’imprégner de Steve Roach, qui ne me rappelle rien, ne m’évoque rien, ne m’autorise ni ne m’interdit aucune projection émotionnelle, au contraire de la majorité des cd de la maison, ancrés chacun dans leur époque, et je vous épargne les vyniles au garage et les cassettes audio dans le tiroir de l’armoire.

Commentaires

  1. Quand j’écoute les vieux bowie, c’est pas pour me retrouver dans les années 70, c’est juste parce qu’ils me font toujours vibrer…et pour rien au monde j’aimerais retourner dans les années 70… Faut assumer d’être quadra et d’aimer toujours la même musique, so what ? Et puis, tant qu’on vieillit, c’est bon signe, ça veut dire qu’on est pas encore mort, non ? même les rides, faut assumer… because… “winkles are for the soul to remenber what it came through”… citation de ???
    Je t’embrasse, John.

  2. moi je retournerais bien en 77 pour me prévenir que si j’arrète pas mes conneries, l’homoncule qui m’habite en 2003 est loin de correspondre à mes prévisions de l’époque : je n’imaginais jamais atteindre 2003.
    “vieillir” décrit les effets biologiques d’un phénomène : l’écoulement du temps. “être mort” est une expression antinomique : soit on “est”, soit on “mort”, mais “être mort”, c’est à se pisser de rire tellement ça peut pas exister…non-sens.
    Et je rectifie ce que j’ai écrit plus haut : après vérification, je projette bien quelque chose sur Steve Roach : une “absence de contenu émotionnel”.

  3. C’est marrant, pour moi, Steve Roach m’évoque un tas de trucs jamais vécus dans la réalité, mais réellement vécus cependant. Il faut dire que ma vie se déroule à 80% dans l’imaginaire (ce qui ne veut pas dire hors du corps). L’univers qu’il m’évoque ressemblerait assez à celui de Au-delà du réel où le héros prend des drogues et se retrouve dans des mémoires très anciennes. Le Steve Roach tribal (suspended memories par exemple), c’est des mémoires évoquant l’aube de l’humanité, et le Steve Roach dark (Magnificent Void), c’est une mémoire du temps où l’humain n’existait pas, peut-être même où la vie n’existait pas, là où la terre était balayée par des éclairs et des raz de marée.

  4. c’est marrant, mais tu commences souvent tes commentaires sur mon blog par “c’est marrant”, et juste après je prends une méga-info “évidente” dans la face. “Altered states” de ken russell avec son sorcier castanedien et son happy-end ridicule + la musique de steve roach quand il est du côté obscur, bon sang mais c’est bien sûr ! à partir de là, je me demande pourquoi l’imaginaire dans lequel tu prétends vivre m’apparait bien plus réaliste que les rêves dont je prétends m’extraire… de toute façon, ma fascination pour les performances dont est capable ton “esprit entrainé” en dit plus long sur moi que sur toi…

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