mercredi 7 juin 2006

Un truc avec la mère


Ayant pris avant-hier l’initiative courageuse d’aller acheter des sandales d’été à ma fille, je me retrouve dans la galerie commerciale d’Auchan. Tiens, je vais acheter des clopes, n’ayant pas encore tenu ma promesse de restopper, même si j’ai vaguement l’impression que ça nuit à mon intégrité. Auchan est le seul centre commercial du coin à intégrer un tabac-journaux en son sein, loué soit-il. 
Me voici au rayon des revues. La couverture de l’Echo des savanes du mois de juin arbore “la copine du mois”, une black qui a l’air ravissante de dos et qui a tôt fait de raviver le souvenir enfoui guère profond d’une autre dont j’ai pu croire il y a quatre ans qu’elle allait me permettre de voir “le nombril des femmes d’agent” sans en mourir comme dans la chanson. 
Oh là là, heureusement que ma fille me tire par la manche, j’ai failli ouvrir ce magazine pour voir si elle ressemblait à celle que j’ai failli voir de très près en 2002. 
Je suis con moi ou quoi ? Si je commence à ne plus accepter mon impuissance devant un stimulus qui me rentre dedans comme dans du beurre, je suis mal barré. 
D’ailleurs, c’est quoi ce délire avec les blacks ? Cette fixation, je peux la dater précisément : en 94, j’ai noté quelque part “Croisé une Valérie P. noire dans le métro ce matin. J’ignorais qu’elle existait aussi dans ce coloris. A l’angle d’un couloir, elle s’admirait dans une grande glace murale, visiblement très satisfaite de son apparence. Comme je la comprends ! ” 
Et c’était parti. La Blackette n’était pas plus inaccessible que Valérie P., mais pas moins. Valérie P. avec qui j’ai entretenu une relation épouvantablement coupable et clandestine pendant des années, et je n’ai jamais pu me faire à sa rouerie candide, mais je n’ai jamais pu m’en défaire non plus, Dieu me tripote. J’ai toujours pensé que si je m’engageais dans une vraie relation avec elle, au bout de trois semaines elle m’arracherait le coeur avec un couteau à huitres sans se départir de son adorable sourire, alors j’ai préféré passer mon temps à me le lacérer tout seul à force de ne pas tenter quelque chose. Et puis, j’étais déjà engagé ailleurs, avec quelqu’un qui avait l’air d’avoir la tête sur les épaules, et c’était plus rassurant. Vouloir concilier les besoins d’aventure et de sécurité est une mauvaise idée sur le plan affectif. 
J’ai rompu tout lien avec Valérie P. depuis quelques années, comme si je m’extirpais d’un cancer, mais avec moins de soulagement.
Et ma fascination pour les blacks, c’est un truc avec la mère.
Etre aimé d’une femme noire imaginaire, alors que je suis même pas foutu d’être aimable par la mienne, qui est blanche et réelle.
Quelle blague ! ça me fait penser à un vieux sketch des monty python.
Bref, ma dernière rechute date de huit mois, mais j’ai l’impression que c’était la semaine dernière. J’ai peut-être découvert sans le vouloir le secret de l’éternelle jeunesse, qui se confond alors avec celui de l’éternelle puberté, ce qui expliquerait tous ces conflits d’intérèt avec mon fils de 14 ans.
Ce matin la première pensée qui s’est pointée c’est “j’ai plus d’intimité avec mes souvenirs qu’avec ma femme, pas étonnant qu’elle n’ait pas souvent envie de faire l’amour alors qu’eux sont toujours prêts à tout”. Ca ne me préoccupe pas plus que ça, je veux dire que c’est là, à clapoter quelque part, avec tout le reste, et que ça ne mérite pas l’attention que je lui consacre sauf à vouloir augmenter la hauteur des vagues.
“Une photo de facture donne le mal du pays” chantait Jonasz. C’est à peu près ça. Du coup, je suis allé trainer sur un vieux blog de Flo, et j’ai ramené ça :
Ted écrit :
En fait, le remède au sentiment de fusionnalité, comme tu l’appelles, serait peut-être, de se convaincre de l’impermanence des phénomènes. Faire une sorte de cure de désintoxication pour comprendre et expérimenter que notre attente d’une identité “qui dure” sera déçue tôt ou tard.
Quand on constate que le lien de l’attachement pend dans le vide, la souffrance est au rendez-vous. On revient dans la ville de son enfance et la vieille ferme près de laquelle on jouait a été rasée. On souffre. Alors, on recrée un objet d’attachement mental, un souvenir qu’on idéalise. On écrit un roman : “la vieille ferme”. La critique hurle au génie. Ca y est : on a réussi son coup et immortalisé l’objet d’attachement en le rendant vivant dans la mémoire de cent mille personnes.
Mais en fait, ce n’est jamais qu’une représentation qu’on s’en fait dans notre cerveau. Nous sommes attachés à des objets mentaux en 3 D qui tournent doucement sur leur axe quelque part dans notre tête.
Gautama conseillait de méditer près d’un charnier. En fait, la Voie royale est peut être celle de l’acceptation, accepter ce qui arrive, accepter ce qui repart. Vivre à 100 % l’instant présent et ne pas se lamenter quand la roue tourne.
Dormir dans un palace le lundi et dans un taudis le mardi, en s’adaptant sans état d’âmes, en acceptant.
ETRE SANS ATTENTES.
Par exemple, il semblerait qu’accepter pleinement la perspective de sa mort inéluctable aide à apprécier pleinement la vie.
Quoi qu’il arrive : accepter, accepter, accepter.
Se battre pour faire aboutir un projet, mais accepter toutes les issues possibles. Agir ! mais sans attentes.
Bon, c’est un avis tout a fait personnel, mais il me semble que quand on accepte totalement les phénomènes qui se présentent, une sorte de système presque immunitaire se met en place qui adouci les situations extrêmes et réalise les voeux non exprimés.
Flo répond :
Le problème n’est pas tant l’attachement aux objets matériels qu’aux objets imaginaires. Comme tu le dis “ce n’est jamais qu’une représentation…”. Bien sûr. Mais l’attachement est l’attachement à une représentation, les “objets” sont très secondaires dans cette affaire. Voir qu’ils disparaissent, ça ne change rien. Le palace et le taudis, on s’en fout, puisque l’imaginaire peut faire ce qu’il veut.
Hier, un ami me disait :”Les gens peuvent penser ce qu’ils veulent de moi, ça ne me dérange pas”. Je lui ai répondu :”Pour sûr, tu vis dans ton imaginaire. Tu as juste décalé le problème”. Là, il n’a plus rien dit, et pour cause.
Pour accepter, comme tu dis, on s’appuie sur l’imaginaire. Tout le monde le fait. La pauvre fille qui a une vie de merde se vit en Reine de la Nuit, et tout est réglé. Et cet imaginaire est dans l’instant présent, il n’est ni demain ni hier. C’est ce qu’on appelle s’appuyer sur l’instant présent, ce que font parfaitement les femmes, les enfants et les animaux. Le problème, c’est que le Bouddha ne s’appuie sur rien, et surtout pas sur l’instant présent. Le problème n’est pas de passer de demain à aujourd’hui. Il est de passer de aujourd’hui à rien du tout. Il n’est pas celui d’une identité qui dure dans son objet, mais d’une identité qui dure dans son principe. La saisie saisit des tas d’objets différents mais elle est toujours la même.
C’est pour cette raison que la mort et la réalisation sont très voisines, et que les gens ne veulent pas mourir. Tu me dis qu’accepter la mort aide à apprécier la vie. Ce que je vois autour de moi, c’est des gens qui ne savent pas qu’ils vont mourir, pas des gens qui acceptent la mort.
C’est vrai qu’il y a eu autour de moi des gens qui ont cru qu’ils allaient mourir, assez récemment, et qui n’ont pas eu peur. Je pense simplement qu’ils n’ont pas de conscience de ce qu’est la mort. Je me range assez volontiers à ce que dit Chepa à ce sujet : “la rigidité cadavérique provient de la très grande peur qu’a eu la personne en mourant. Le corps des maîtres reste souple quand ils meurent”. Tu en connais beaucoup toi, des cadavres qui ne sont pas devenus rigides ? Faudrait demander à des médecins légistes, mais à mon avis, il y en a très peu.
Ignorer le problème n’est pas le résoudre, et pour moi les données sont simples. Quand on a pleinement accepté la mort, la vraie, celle du moi, on est pleinement dans l’état naturel, et si on n’est pas encore un bouddha, on va le devenir très vite. Je connais plein de gens qui disent accepter la mort et aucun qui soit même loin d’être un bouddha (je ne parle pas des lamas et autres enseignants du genre). Il me semble qu’il y a là une très grande inconscience, rien de plus. Comment tu fais, toi, pour défusionner de ton imaginaire ? Est-ce que tu as essayé ?

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