mardi 22 août 2006

Reconnaissons notre besoin de reconnaissance (3)



…poursuivons le fructueux dialogue engagé avec le maileur d’hier.
-Hello John ! Merci pour ta réponse engagée, et amicale. Je dois avouer que ça fait toujours chaud au cœur. Aussi, je reviens ! Pour être clair, c’est le bordel. En fait, le vrai bordel. Cela fait trois mois que je déconne au boulot, au point de ne plus bosser parfois plusieurs jours de suite. Dans tes propos, effectivement, tu fais référence à des idées très justes, qui ont déjà presque l’ancienneté de la sagesse. Je te signale tout de même que tu as esquivé une partie du thème central pour moi, à savoir : une idée persistante chez moi est que, bien concrètement, partout où les conditions rendent cela possible, les hommes « profitent au maximum » du sexe, avec ce que cela comprend de grivois : historiquement dans les bordels des villes, dans les sérails des puissants, dans les maisons bourgeoises avec les servantes, dans les arrières-bureaux des sous-chefs, dans les zones rurales avec les filles sous-éduquées ou esclaves, voire simplement en rêve pour les plus pauvres. Beaucoup d’écrivains se sont essayés aux récits pornographiques, dans l’ombre, y compris victor hugo par exemple, qui incarne pourtant une forme de romantisme respecté. L’histoire des femmes dans toutes les sociétés est marquée par leur statut plus ou moins explicite d’objet du désir, à commencer par ce que nous révèle l’histoire des religions et les modèles qu’elles proposent. » En corollaire cela signifie qu’il me paraît (vraiment) IMPOSSIBLE de résister, que c’est gravé dans la nature avec du sang gorgé d’hormone. Une solution serait la fuite au fin fond de la Mongolie…
-même en Mongolie, la moindre petite asiatique faisant sa toilette matinale dans un lac de montagne pourrait compromettre ta sérénité.
-Le projet de se protéger du contact me paraît un peu fou, ce serait comme vivre avec un cache nez permanent.
-Juste le temps du sevrage. Après, on devient indifférent au stimulus, ou plutôt on y réagit "normalement" (en se rappelant quand même d’où l’on vient et le temps qu’on y a perdu, donc on n’insiste pas, comme l’ex-buveur qui traverse le rayon vins du Super U). Y’a plus rien pour nous là-dedans. On a fait le tour. Mais là t’es obligé de me croire sur parole puisque tu n’en es pas là.
-Nos ancêtres auraient-ils résistés à nos moyens techniques ?
-non.
-Qu’en déduire ?
-Que c’est pas parce qu’on est plus nombreux qu’on a plus raison. Mais que surtout tu cherches à justifier ton immobilisme par des moyens douteux. Ne conviens-tu pas qu’il est urgent de mettre un frein à cet immobilisme ?
-Soljenitsyne aurait écrit « On asservit les peuples plus facilement avec la pornographie que avec les miradors». Je voudrais bien savoir à quel propos.
-ça t’avancerait à quoi ? cette phrase ne se suffit-elle pas à elle-même ? tu crois qu’il rêvait d’avoir l’adsl au goulag ? tu crois pas que c’est pareil ? que ta prison n’a qu’un seul barreau et que tu tournes autour ?
-Je trouve que l’accès à la pornographie résonne comme quelque chose de fondamental. Elle sent le souffre et la décadence, la déchéance d’une civilisation.
-flûte alors, nous voilà mal barrés. La chair est triste hélas et t’as lu tous les blogs.
Mais qu’est-ce qui t’empèche de sauver tes fesses, de te désolidariser de cette "déchéance" si elle te fait vraiment gerber ?
-Boutade ? : qu’est ce qui a motivé l’intérêt pro-turc au XVIII et XIX siècles, hein ? la fascination pour les sérails, point ! qu’est ce qui a provoqué la déchéance de l’empire romain ? l’excès d’orgies ! qu’est ce qui a été le déclencheur de la 1ere guerre mondiale ? l’opulence des puissants ! Au milieu des excès de l’humanité, toutes ces femmes gratuites qui écartent à volonté, apparaissent comme un Eldorado pour pessimiste malade amoureux de la vie qui s’essayent sûrement maladroitement à l’idée du plaisir sans fin. L’orgie du pauvre, interplanétaire. Le virtuel n’est-il pas déjà quelque chose ? face au désir supposé universel de tout mec d’imaginer la ou les nana(s) de ses rêves ? Le virtuel est-il comparable à rien ? ou à moins que rien ? renoncer au virtuel contre la garantie du rien de ce point de vue ?! Cela étant, j’ai connu des satisfactions profondes et multiples, comme tous le monde : amours, sexualité « réelle », amitiés, artistiques, professionnelles, voyages, ballades, musique, cuisine, bricolage, plongée, richesses culturelles ou historiques, lectures, curiosités, etc., etc., etc. parfois même des moments où je me plaisais à me dire : « tu vois, tu pourrais mourir maintenant, tu auras connu ça, le contrat était honnête ».
-t’as pas envie de mourir sans garder ce caillou dans ta chaussure ? tu sais, le sevrage on n’en meurt pas, comme disait Spirit juste avant de renoncer à Internet.
-La vie est une source inépuisable, c’est sûr. Tu ne peux pas savoir (si ?) combien j’ai pu considérer, à x reprises, que cette énergie utilisée pour une duperie photographique était gâchée compte tenu de tout ce que il y a à faire d’autres, de plus intéressant. Combien j’ai pu souhaiter utiliser cette énergie autrement, pour le « bénéfique», le créatif, dans la peinture par exemple. Tu sais je comprends fort bien ta motivation pour le bouddhisme. J’ai beaucoup aimé le film minimaliste « printemps, été, automne, hiver, printemps … ». Je cherche dans cette direction aussi, grappille des infos, m’intéresse à l’énergétique du vivant, aux pratiques de puristes incluant une dimension philosophique, spirituelle.
Néanmoins, je bute sur le comment se dire « plus jamais ». Si le fantasme est dans la nature de l’homme, l’endiguer est contre nature. Je voudrais pouvoir dire « autrement ». Mais « autrement » comment ?
-comme dit ma cyber-copine flo, " il ne s’agit pas de renoncer à la passion mais de renoncer à saisir son objet, ce qui n’est d’ailleurs pas un renoncement puisqu’on a l’occasion de s’apercevoir que l’objet en question est toujours une projection de son propre esprit, et qu’en réalité, c’est rigpa qui s’aime lui-même, ou, comme diraient les chrétiens, Dieu qui s’aime lui-même, à travers sa propre création. Il s’agit donc de ne pas de confondre la mariée avec la robe dont elle est vêtue."
J’ajouterais que la défaite étant prévisible face à des forces qui nous dépassent, on peut renoncer momentanément à la confrontation - ce que tu appelles sauter un tour - et prolonger indéfiniment ce moment. Le train du changement passe tous les jours devant ta maison. Encore faut-il te donner la peine de monter dedans.

-Tu vois, je crois que je résiste beaucoup plus que je ne l’imaginais à l’étape 1, déjà, à savoir que au fond de moi, je dois refuser l’idée d’être malade, et démuni. Comme pour une tuberculose.
-Sauf que c’est vachement difficile pour toi de refuser l’idée de maladie vu que tu en constates les symptômes, que tu les connais et les re-connais !
-Je comprends parfaitement tout ce que tu dis, tous les arguments d’orroz et des autres, je les fais miens d’ailleurs en bonne partie ; mais il est possible que je ne les sente pas assez au fond de moi, pas assez pour me persuader une nouvelle fois que la vie est possible SANS l’ombre du porno. Je ne peux me résigner à ces idées : 1/ plus jamais ;
-le futur n’est qu’une vue de l’esprit (cf Eckardt Tolle, bouquin référencé sur le site d’orroz) : tu es toujours dans l’ici et le maintenant. Mais si ton passé était moins présent, ton futur te paraitrait moins lointain (synonyme "d’improbable")
-2/ je suis malade.
-bienvenue au club. Le sentiment d’appartenance à une communauté te délivre-t-il de cette tragédie ou pas ?
-Lorsque j’étais à fond dans l’idée d’abstinence en juillet 2005, je m’imaginais gravir une montagne. Le problème est que je n’ai jamais su imaginer ou sentir ce qu’il pouvait y avoir derrière.
-mauvaise nouvelle : une autre montagne. L’évolution est ainsi fête : il n’y a pas de limite au progrès accessible à l’humain. Par contre, il est vrai que nous avons le "choix" de creuser vers le haut ou vers le bas.
-Or, tout ce que je te dis en est en partie la cause. Je ne peux rien imaginer que je conçoive contre nature. Et me concevoir convalescent à vie, avec mon cache nez, en fuite, comme seul échappatoire me paraît être contre nature.
-bon sang mais c’est bien dur ;-)
Flo dit "Les cyberdépendants combattent leur désir. Pas de chance, le désir de la pétasse sur un écran n’est que la dégradation de quelque chose de plus haut, car la jouissance sexuelle n’est, de nouveau, qu’une version dégradée de la béatitude produite par l’union de la clarté et de la vacuité. Autrement dit, rejeter le désir, c’est jeter l’échelle qui nous permet de remonter à notre vraie nature. Et ça ne peut pas marcher." (commentaire d’orroz : "C’est pourquoi je propose aux dépendants de transformer leurs désirs de pétasses en désir vrai d’amour pour leur partenaire car en réalité c’est cette omnipotence du désir qui permet d’atteindre la vraie jouissance.")
Si t’as oublié d’où tu viens, rappelle-toi que t’as les bases et que rien t’empêche de les reprendre, à part ces "nouveaux commencements devant lesquels tu te dérobes", comme disait Michaux. Ou que tu te plais à recommencer encore et encore sans jamais en voir le bout. Si j’ai pu le faire, rassure toi, c’est à ta portée.
la preuve : extrait de mon ancien blog : "7 Octobre 2005. Jour 0. Rechute. Il va falloir copier-coller le paragraphe d’hier, ça ira plus vite. Ou alors un petit Flo, pour la route :
"On voit bien ce que Castaneda appelle l’auto-contemplation. C’est le fait de jouir de ses émotions/sensations/pensées… jusqu’à en être dégoûté, énervé, et ensuite, jouir de ce dégoût, de cette colère, après quoi on est fatigué donc on dort un petit coup, et dès qu’on se réveille, on recommence ! Là où le processus est le plus visiblement à l’œuvre, c’est dans les émotions. A ce niveau là, ça devient du grand art. Comme le dit Casta, les gens sont tous assis en rond à se retourner le couteau dans la plaie et ils appellent ça du partage. En fait, ils ne partagent rien d’autre que leur auto-contemplation.
N’étant moi-même pas très douée pour les émotions, on comprend que j’aie toujours bien aimé ceux qui ont tendance à s’y complaire, je leur trouvais du charme, en quelque sorte. Pour sûr, ils ont une capacité d’exister supérieure à la moyenne, car c’est bien de cela dont il s’agit : s’auto-contempler pour exister. Malheureusement, personne n’existe, et ne pas l’admettre est la cause de toutes nos souffrances. Plus on s’auto-contemple, plus on existe, et plus on souffre, bien sûr. Le prix à payer pour ne plus souffrir est la cessation de cette auto-contemplation, et c’est un prix que personne ne veut payer."
Evidemment, on se fout que Flo, que Casta et à postériori vous ou moi ayez une quelconque prétention à "mettre en actes" cette histoire, qui éveille dans mental confus du dépendant bien des échos. Castaneda est mort en emportant ses secrets, Flo est à donf dans le dzogchen et moi je refuse d’accepter mon impuissance devant le porno après 6453 essais infructueux. Non, inaboutis. Ce qui prouve que la théorie de Casta rapportée par Flo n’est pas faite que pour les cochons, et que si je cessais de me plaindre ici-même d’être rien qu’un branleur, y’aurait déjà un peu moins d’autocontemplation."
a+ kamarade !

J’ai un copain qui, pour éviter les risques inhérents à sa profession de devenir alcoolique, dépressif, obsédé sexuel ou les trois à la fois, s’entoure de gens qui manifestent fortement au moins une de ces tendances. Je me demande si je ne suis pas en train de tester sa ruse. Bien que j’aie déjà le tiercé dans l’ordre, mais retourné à l’état latent.
Après cette orgie de dialectique, méfions-nous quand même. Il arrive que latent t’accule, surtout quand l’attentat cule.


Commentaires

  1. Un petit commentaire : le gars n’est pas près d’arrêter puisqu’il se justifie. Regarde son insistance sur le fait que tout de même, c’est normal, puisque depuis l’aube del’humanité etc… C’est sûr que depuis l’aube de l’humanité il y a des obsédés qui sont fiers de l’être. En fait, quelque part, il en est fier. Tant qu’il ne le verra pas, il ne risque pas de changer.
  2. je crois qu’il se justifie pour pouvoir en être fier, et non l’inverse, parce que d’une certaine façon il a marre d’en avoir honte et que personne ne tient à vivre dans une incohérence dont il serait l’auteur.
    D’une certaine façon je me justifie aussi, mais à un moment donné la souffrance a dû passer par dessus l’égo. Merci qui ?
  3. Je reconnais en toi l’homme pur qui ne pense jamais à mal…
    Je t’assure qu’on peut être fier de son caca, par principe. Il faut être un peu pervers pour ça, mais c’est assez répandu. Il y a beaucoup de complaisance chez ce gars, et la complaisance est à elle-même sa propre récompense. Et il le sait, bien sûr. Mais il ne le reconnaîtra pas forcément, puisqu’avec toi, il essaie de faire bonne figure, sachant que tu n’es pas pervers toi-même et qu’il ne saurait donc t’embarquer dans sa façon d’être. C’est un malin.
  4. j’espère pour lui qu’à un moment donné, il se rendra compte qu’il perd son temps, et que son caca ne possède pas intrinsèquement les valeurs qu’il lui attribue.
    Le caca, c’est chiant, mais il faut sortir de la cuvette pour s’en apercevoir. Ou au moins postuler qu’elle existe, et possède donc un au-delà du couvercle.
    J’ai mariné dans la même bouillasse que lui, et j’ai mis longtemps à piger que “la complaisance est à elle-même sa propre récompense” (je te remercie pour cette formulation)
    après, c’est lui qui voit…
    il serait vain de persister à lui désigner la lune s’il regarde mon doigt, et réciproquement.

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