mardi 21 février 2012

19 novembre 2010

Bon, on va essayer d'y aller doucement.
Je boucle précipitamment le dossier "Jeunes et pros" avec les étudiants de * et je saute dans le premier train pour Montpellier où, selon toute vraisemblance, ma mère se meurt depuis quelques jours.
Ce midi, mon frère m'a appelé, pour me dire de ne pas paniquer, il est déjà sur place, mais que je pouvais m'attendre à une mauvaise nouvelle dans l'après-midi, que c'était juste très triste.
Quand votre frère vous dit de ne pas paniquer, c'est pas bon.
Cela fait 8 jours qu'elle est hospitalisée pour une série d'examens, dont un IRM qui a révélé des métastases importante sur les reins, le foie, les vertèbres...
Je bosse chez ** depuis mars et je pense que ça m'a fait du bien d'être à plein temps,  j'ai dû rationaliser mon temps libre et cesser d'entretenir des pensées stériles - en tout cas c'est ce que j'intuite vaguement à la lumière noire du  « roman russe» d'Emmanuel Carrère que je lis dans le train, et je vais à Montpellier aider ma mère à mourir.
Si je peux.
Au soir, je fais le trajet à pied de la gare à la rue R*, ça n'a pas dû m'arriver depuis que j'étais étudiant à Bordeaux; la ville est sale comme d'habitude, mais aussi plus qu'à moitié éventrée par les travaux du tramway, qui succèdent à ceux de la gare.
J'ignore comment font les riverains pour ne pas se massacrer à coups de fusil à pompe, car l'exaspération devant les effets de ce qui ressemble à une guerre civile, qui dure depuis tant d'années, aurait dû leur faire sauter les plombs depuis longtemps.
Papa m'accueille à l'appartement, il parle tout le temps, comme il ne m'a jamais parlé, il m'explique les différentes étapes de la dégradation de l'état de santé de maman.
Les symptômes qui ne nous ont pas alertés à temps, ces infections urinaires à répétition, qui réduisaient son autonomie trottinante à la proximité rassurante des sanitaires publics ou privés à portée de ballade, ces douleurs dans le dos, ces plaies mystérieuses aux jambes, pour avoir juste effleuré un meuble par le travers du mollet, et qui ne guérissaient pas.
Alors elle s'entourait les jambes de bandelettes, et papa l'appela brièvement "mes 7 plaies d’Égypte", mais la plaisanterie fit long feu.
Et depuis un mois, l'engrenage : les chutes, d'abord dans l'appartement, puis dans la rue, sur le cours Gambetta éventré dont dépassait une innocente ferraille, et la fracture de la mâchoire, masquant la fracture de la vertèbre, retardant les examens prescrits par le médecin de famille, la semaine et demi de repos forcé à la maison, le mail inquiétant de ma soeur à la Toussaint devant maman  alitée et affaiblie, et la dégringolade finale.
Cela fait 9 jours qu'elle est en clinique, on essaie de la préparer à une hypothétique intervention sur la vertèbre pour éviter la paralysie, la moelle épinière risque d'être pincée, mais comme elle est sous anticoagulants, on lui a injecté les corticoïdes, massivement, et il se peut que ça ait envoyé promener les métastases dans tout l'organisme, en tout cas elle est dans le coma depuis hier matin, et le médecin de la clinique qui a demandé si on voulait la mettre en réanimation, tout en déconseillant de le faire, et papa lui a dit que si son avis était pris en compte, il préférait qu'on ne le fasse pas, et maintenant c'est une question de jours, et elle disait qu'elle ne voulait pas rester la dernière, et la solution ça aurait été que je parte avec elle mais je ne suis pas prêt, j'ai envie de vivre, il a un petit rire en disant cela et il parle vraiment tout le temps, mais c'est parce qu'il a pris les médicaments pour son arythmie cardiaque, et de toute façon c'est soit l'effondrement soit l'excitation, alors il préfère être excité.


 Sauf ma mère et ma sœur, vers 1970.

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