dimanche 19 février 2006

Rédemption de l’objet fascinatoire III : le doigt indique la lune et se la met dans l’oeil.




Article paru dans une de ces cyber-revues branchouilles pour d’jeunzs (un d’jeunzs, c’est quelqu’un qui a 10 ans de moins que moi) exerçant des métiers "à forte valeur narcissique" : teknik’art, chronik’art, les inrocks…
« *** ** », le dernier film de J* T*, sorti il y a quelques mois chez la prestigieuse maison C**, nous a beaucoup ému. Il y avait bien longtemps- à vue de nez, samedi dernier- qu’un porno ne nous avait pas autant enthousiasmé. Par sa mise en scène naturaliste, sa très érotique approche de la pornographie, son casting parfait et surtout sa dimension philosophique à peine voilée, « ** ** » est ce que l’on appelle « un classique instantané ». Dans ce film, nous suivons les aventures de Modeste Pompello, photographe de charme de renom, en pleine crise de désir. Pourtant entouré de trois superbes jeunes filles (Axelle, Jennifer, et Sophie) réunies dans une villa Tropézienne pour une séance de shooting, Modeste n’arrive plus à redresser la situation. Vous devez vous demander pourquoi nous nous sommes tant réjouis à la vision d’un film de cul où l’acteur bande mou.¨Peut-être, pensez-vous, qu’il doit se cacher là dessous un sentiment de l’ordre de l’identification. Et bien, non. Au delà des scènes qui répondent au cahier des charges (décharge ?) habituel d’un film X, « Propriété Privé » est un authentique traité visuel qui a pour thème central l’inexorable baisse de désir du mâle occidental, le premier porno à avoir mis en images les théories du penseur Bernard Stiegler. Dans son dernier ouvrage « Construire l’Europe », Stiegler élabore la théorie selon laquelle l’individu postmoderne, croulant sous une consommation de produits méthodiquement massifiés par les industries, subit une ruine du narcissisme qui atrophie son désir chaque jour un peu plus jusqu’à la débandade. Plus simplement, Stiegler nous dit qu’en ayant accès à tous, tout le temps, et de manière infinie, nous avons perdu le goût de la sublimation, de l’extraordinaire, du merveilleux, bref nous sommes blasés et plus rien ne nous fait vraiment bander.
Cette situation de misère symbolique décrite par Bernard Stiegler, nous la retrouvons de manière particulièrement criante chez Modeste Pompello, notre photographe à l’intimité ramollie. Au bout du rouleau, rongé par la culpabilité suite à la mort de sa femme et de sa fille, Modeste finit par tomber dans un nihilisme total. Allongé sur son lit, vêtu de son peignoir de bain, il n’est que mollesse, à l’image de ce bout de chair qui pendouille, sans but, entre ses cuisses. Il ne croit plus en rien, ni en son travail, ni au pouvoir totémique de sa queue. A l’image de l’homme « Stiglerien » Modeste subit l’effet implacable de la « baisse tendanciel de son taux de désir ». « Arrête ! Ca ne sert à rien ! Je suis foutu ! Ca fait un an que je ne bande plus » lâche t’il impudiquement à Axelle tandis qu’elle lui suçote le sexe d’un air enfantin. Pourtant, Modeste n’a pas toujours été ce bout de viande flasque. Il incarnait même, à une époque, l’archétype du mâle occidental. Riche, beau gosse, exerçant un métier à forte valeur narcissique et baisant de nombreuses femmes, plus belles les unes que les autres. Aujourd’hui, Modeste est en pleine dépression. Pourtant, Modeste pourrait baiser, les femmes ont envie de lui, mais notre héros a perdu le goût de la sublimation. C’est donc petit à petit, de façon presque artisanale, qu’il va retrouver sa libido. Toujours selon Stiegler, dans notre système libéral qualifié par lui même « d’anti-libidinal », « n’est désirable que ce qui est singulier et à cet égard exceptionnel ». C’est donc en acceptant de se remettre au travail sous les conseils d’Axelle que Modeste va progressivement « reconstituer son désir d’élévation » car « le travail représente de la libido captée et canalisée ». A travers le prisme de son appareil photo, Modeste redonne un caractère exceptionnel à ce qui lui semblait banal, à savoir le corps des femmes. Bien sûr, ce rétablissement passe également par quelques coups de hanches dans le petit trou de Nikki, craquante hongroise au corps d’adolescente, mais là n’est pas le plus important. Car en mixant subtilement une pornographie artificiellement sublimée (toutes les femmes sont consentantes et bisexuelles) et un réalisme cru (le héros ne bande pas) Jack Tyler a réussi à opérer un télescopage entre vie et fiction, entre nos défaillances quotidiennes et les exploits turgescents qui se déploient à l’écran. Bref, il nous livre ici un vrai film d’auteur, au sens stricte du terme, où l’ont devine une grande part d’autofiction.
"Propriété Privé" n’est pas qu’un film sur la perte du désir, c’est aussi une oeuvre sur les antagonismes, les opposés. Chaque personnage ne trouve de cohérence qu’à travers son contraire. Phil, par exemple, un escroc minable que les demoiselles rencontreront lors d’une virée en ville et qui tentera piteusement de chaparder leurs clefs de voiture, n’existe que parce qu’il est l’exact contraire de Modeste. Simple, complètement dénué de vie intérieure, il profite du corps des femmes comme un adolescent qui n’en revient toujours pas d’être là. Phil caresse des fesses, lèche des chattes, introduit son sexe dans des bouches et surtout ne réfléchit pas excessivement, ne se perd pas dans une cérébralité qui mine l’action. « Il est bon ton cul » semble d’ailleurs être sa phrase favorite. Son enthousiasme communicatif fait plaisir à voir. Phil n’est évidement pas le personnage le plus humainement intéressant du film mais sa présence est indispensable tant il symbolise l’antithèse de Modeste. D’ailleurs, coïncidence ou non, ces deux là ne se rencontrerons jamais. Quand Phil part, Modeste débarque enfin, et là se trouve le creux du film. Pour garder un soupçon de dramaturgie, nous ne vous dévoilerons pas la fin de « ** ** », qui fait également penser à une sorte de Fight Club de sexe, de peinture en mouvement d’une étrange forme de schizophrénie. Il vaudrait mieux poser la question au réalisateur, J* T*. Ce gars là est un personnage intriguant, une sorte d’Ovni dans le milieu du X. Avec très peu de moyens techniques et sans faire dans l’amateurisme, il vient ici de nous prouver qu’un porno de qualité peut encore exister pour peu qu’on veuille bien s’en donner la peine. J* fait la nique à tous ces pseudos réalisateurs médiocres qui n’hésitent pas à se vautrer dans le glauque en utilisant à outrance des scénarios flirtant avec le viol. Le sexe est ici bourgeois, décadent, mais autrement plus excitant. La caméra de J* tournoie, virevolte autour des corps, se fait parfois immobile pour mieux s’attarder sur un regard, ou un anus, puis repart dans un manège où se mélangent douleur et jouissance. La scène introductive, qui se déroule dans une forêt, est à ce titre d’une beauté sidérante. Tournée comme un long plan séquence en lumière naturelle, il se dégage de l’image une esthétique quasi documentaire qui évoque un de ces films du Dogme. Il y a de l’amour dans cette scène anonyme mais aussi une sauvagerie et une spontanéité qui s’éloigne de l’imagerie mécanique de la pornographie pour, paradoxalement, en devenir encore plus sexuelle. A signaler également les bonus : devant la caméra, les acteurs se livrent à des confessions assez touchantes sur leurs vies, leur métier, leurs doutes. On découvre alors des jeunes gens lucides, humbles, souvent drôles, très loin donc de l’image de nymphomane idiote ou de bite sur patte. Si J* T* est un bon philospohe caméra à l’épaule, il n’est pas mauvais non plus lorsqu’il s’agit de jouer les Mireille Dumas. Ce gars là a de la ressource.

Vincent C** le ** ** 2005

Je cite l’article presque en intégral pour qu’on voie bien le procédé à l’oeuvre : je suis tombé dessus en cliquant au bord du cybermonde, près des piliers d’Hercule, et il m’a donné à réfléchir. Je fus un fervent des Inrocks quand les d’jeuns n’étaient pas si vieux que maintenant. L’hydre du lobby pornocratique se présente ici sous sa forme maligne : style plaisant, références culturelles de connivence à large spectre, instrumentalisation de penseurs probables à consonnance slave grâce à un logiciel de génération aléatoire de gloires obscures de la philosophie, ici Stiegler, mais on pourrait citer Baudrillard, Houellebecq, Lipovetski, Virilio… le coeur de cible n’en serait pas plus rassuré intellectuellement d’acquérir un film qui semble aussi chiant que de l’Antonioni mais avec du cul en plus, "bourgeois, décadent, mais autrement plus excitant que les scénarios flirtant avec le viol" nous dit Vincent C** qui a sans doute reçu une bonne éducation, écrit de manière agréable et vend bien sa salade : il agite assez d’idées sous son crâne pour nous faire croire que le porno de la semaine relève bien du must de l’élargissement culturel des jeunes gens modernes tout en glissant assez de jokes dans son article pour qu’on comprenne que c’est quand même pour rire. (Peut-on devenir intelligent en s’astiquant la nouille ? Réponses vibrantes de Vincent C**, disait la réclame)
Il fut un temps où l’art "bourgeois, décadent, et pornographique" était décrié par tous les marxistes d’avant la marchandisation du monde, et pas que sous des régimes collectivistes. Aujourd’hui il ne reste guère plus que les ayatollahs et les pornodépendants pour résister aux sirènes de la volupté.
Snif.

Commentaires

  1. Quand on lit ça en effet, on se pose des questions sur l’intérêt de la critique cinématographique et littéraire. Le type aurait pu faire le même article à partir du nouveau paquet de nouilles Panzani.

  2. l’article utilise les codes de la critique artistique en général, mais vu la nature de la chose critiquée, on voit l’os dans le pâté, je veux dire le squelette dans le placard. Par ailleurs je note que j’ai utilisé le mot “sirènes” appliqué aux films de cul à 8 jours d’intervalle, il faut que je lance la grande question : les sirènes ont-elles des os ou des arètes ???

  3. eh les gars, vous l’avez vu le dit film ?

  4. non, pourquoi, on a raté quelque chose ?

samedi 18 février 2006

Acédie aux Assedic

« Selon Cassien, Evagre et Saint Nil, il n’est démon plus redoutable que celui de l’acédie. Le moine qui y succombe en sera la proie jusqu’à la fin de ses jours. Collé à la fenêtre, il regardera au–dehors, attendra des visites, n’importe lesquelles, pour palabrer, pour s’oublier. Se dépouiller de tout et découvrir ensuite que l’on s’était trompé de chemin, se morfondre dans la solitude et ne pouvoir la quitter ! Pour un ermite qui a réussi il y en a mille qui ont échoué. Ces vaincus, ces déchus pénétrés de l’inefficacité de leurs prières, on espérait les redresser par le chant, on leur imposait l’exultation, la discipline de la joie. Victimes du démon, comment auraient-ils élevé leur voix, et vers qui ? Aussi éloignés de la grâce que du siècle, ils passaient des heures à comparer leur stérilité à celle du désert, à l’image matérielle de leur vide. Collé à ma fenêtre, à quoi comparerais-je ma stérilité sinon à celle de la Cité ? Cependant l’autre désert, le vrai, me hante. Que ne puis-je m’y rendre, et y oublier l’odeur de l’homme ! En voisin de Dieu, je humerais sa désolation et son éternité dont je rêve aux instants où s’éveille en moi le souvenir d’une lointaine cellule. Dans une vie antérieure, quel couvent ai–je abandonné, trahi ? Mes prières inachevées, délaissées alors, me poursuivent maintenant, tandis que dans mon cerveau je ne sais quel ciel se fait et se défait. » 
Cioran, "La tentation d’exister."
C’est bizarre, je n’ai jamais réussi à le prendre au sérieux, çui-là, avec son obstination de creuser l’éternel sillon de la Mélancolie Über Alles. Cioran, fils de prêtre orthodoxe et lecteur assidu des Pères de l’Église. Il a déployé toute son énergie à chier dans les bottes paternelles jusqu’au-delà du ridicule et de l’acharnement thérapeutique : la préciosité de ses écrits les plus cruels, l’affectation de son cynisme aux effets calculés fait suspecter le blagueur pisse-froid plutôt que le nihiliste ombrageux, et sa longévité hors du commun pointe vers l’épicurien sournois plutôt que de signer la vengeance d’un démiurge qui lui aurait infligé d’atteindre un âge canonique avant de le rappeler en son sein, démiurge dont je n’ai jamais bien su si Cioran prétendait l’exécrer pour la médiocrité de sa production (l’humain, créature non viable éternellement pitoyable etc…) ou à qui il reprochait son Inexistence, variante du chantage affectif au Père dans l’espoir qu’il envoie un signe.
Rêves récurrents d’anciens collaborateurs, producteurs, réalisateurs m’attelant à des tâches peut-être subalternes mais réelles, songes à répétition ayant pour cause mon sous-emploi chronique et de plus en plus pesant, ma dépendance envers des employeurs ayant des besoins de plus en plus intermittents. Délivrez-moi de ma liberté si elle n’est que macération vacuitaire et fuite du réel, refaites-moi monter du documentaire à 60 heures par semaine… J’en viens à souhaiter être utile à la société. Non que j’aie jamais eu le profil d’un sociopathe : La peur du ridicule m’a toujours empêché de me prendre pour un rebelle, mes guitares et mes jeans étaient sponsorisés par mes parents et j’avais une mauvaise conscience aigüe de mes blocages petits-bourgeois qui se révéla insoluble dans l’alcool, je veux dire qu’elle a survécu à la noyade, et qu’en fais-je, huh ? Marginalisé sur le plan professionnel, le constat d’insupportable précarité (à 1500 € d’assedic on peut geindre avec une certaine retenue, quand même) m’oblige à poser des actes : peu de débouchés régionaux, donc soit je change de métier soit je bouge mes bottes, et c’est pas sur mon blog que je vais trouver du taf, bien qu’il y en ait toujours, j’ai peur de m’enfoncer dans la grognonnite et ça serait bien dommage avec tous les sevrages que je me suis collé au cul (ne me manque que le patch anti-merde, vous devez être en train de le lire.) Si j’étais intégré dans cette grande entreprise audiovisuelle dont je convoite les faveurs, le chuintement de mon angoisse cesserait : au bout de quelques semaines, il laisserait place au dépit, la morne lassitude que je lis dans les yeux de mes camarades titularisés - pour l’instant je ne suis qu’un vacataire tantôt rigolard (au travail) dépressif (à la maison comme un con devant mon ordi, chez ma psy pour déplorer mes addictions) ou colérique (quand il s’agit d’engueuler ma femme pour faire reculer l’acédie). Il y a eu une époque où CDD et CDI se toisaient comme le loup et le chien de la Fable, mais c’était du temps où l’offre de travail était égale à la demande.
Peut-être un peu jaloux de Cioran, qui a quand même écrit quelques pages bien méchantes et bien rêches, et dont les "syllogismes de l’amertume" réjouissent les amateurs d’aphorismes faciles : « J’ai connu toutes les formes de déchéance, y compris le succès. » On se trouve le plus souvent face à un Woody Allen dépouillé de son autodérision consensuelle.
Merci à Flo de m’avoir aiguillé sur le tuyau : L’acédie, comme les Sopranos, rend nihiliste.
Je suis incapable de savoir si j’en suis atteint, mais le mot me fascine, comme l’amie du post précédent était sincèrement ravie d’apprendre qu’elle souffrait de narcissisme égocentrique.
Dado s’étonnait de l’uniformité des blogs à tendance récriminatoire. Je crois que les gens qui feraient des blogs sympas et aérés ont bien mieux à foutre, mais c’est peut-être une idéalisation excessive de ma part.
Si Dieu se cherche à travers nous, Il n'est pas Rendu.

jeudi 16 février 2006

Souffrir dans la Joie



On désigne sous le terme de "littérature AA" l’ensemble des livres, revues et brochures qui circulent dans le mouvement et transmettent à qui veut bien les lire l’esprit du programme de rétablissement qui nous est suggéré. Bien qu’elle n’ait rien de littéraire à proprement parler et semble souvent traduite de l’amerloque par des serbo-croates, qu’elle charrie son lot d’opinions indémontrables, contradictoires et vieillottes, de foi pléonastiquement aveugle et d’optimisme béat, sans oublier sa lourde dette au protestantisme, la littérature AA, du fait même de l’agacement qu’elle suscite chez le nombrillidé rationaliste et sevré ou en sevrage d’alcool, lui permet d’éprouver les limites de son ouverture d’esprit et de sa soif de changement; de plus, elle fournit une mitraille quasi-inépuisable de thèmes de réunion au modérateur déserté par l’inspiration.
"Attentes ou Exigences ?
Les attentes constituent un sujet fréquemment discuté dans les réunions. Il est normal de s’attendre à progresser, à recevoir de bonnes choses de la vie, à être bien traité par les autres. Par contre, ces attentes tournent mal quand elles deviennent des exigences. Il se peut que je ne sois pas à la hauteur de ce que je souhaite être, que les évènements prennent une tournure que je n’aime pas, que les autres me laissent tomber. Dans ces moments-là, que puis-je faire ? Pleurer de rage ou m’apitoyer sur mon sort ? Me venger et envenimer la situation ? Ou m’en remettre à la puissance de Dieu tel que je le conçois et le prier de combler de sa grâce le pétrin dans lequel je me retrouve ? Lui demander de m’indiquer ce que je dois apprendre ? Est-ce que je continue de bien faire ce que j’ai appris à faire, peu importe les circonstances ? Est-ce que je prends le temps de partager avec d’autres ma foi et les bienfaits que j’en retire ?"
in "Réflexions de quelques membres à l’intention de tous."

Le soir où j’ai fait cette lecture en préambule à la réunion, les quarante visages qui me faisaient face ont tous apporté qui leur pierre, qui leur gravillon, qui leur plume, qui leurs boules, qui leurs coeurs, qui leurs trouilles, qui leurs pleurs, à cette communion de 90 minutes au cours de laquelle les récits de vies se succèdent, se répondent et s’entrechoquent.
"La tendance à exiger des autres ce qu’on n’arrive pas à obtenir de soi-même n’est pas propre aux alcooliques…mais c’est vrai que nous, dans ce domaine on a quand même bien chargé la mule.
-Maintenant que je suis rétabli, j’essaye d’apprendre à attendre sans exiger, mais c’est dur…
-Si je lâche la peur, je ne peux entrer que dans l’amour…
-Ben moi je n’attends plus rien, et ça va beaucoup mieux…
-Ce serait manquer d’honnèteté que de prétendre que je n’attends pas de récompense à mes efforts, même si l’exigence serait une crispation et une promesse de déception : les attentes que je nourris sont peu nourrissantes…
-Moi quand je suis arrivé ici j’exigeais d’être sauvé de moi-même, en fait ça n’a pas vraiment marché comme ça.
-Quand mon attente est déçue, je dois faire l’inventaire : sur quoi était-elle fondée ? la dépression est fille de la déconvenue, mais mes exigences n’étaient-elles pas déraisonnables ?"

Dans l’assemblée, il y a des chevaliers à la triste figure, mais aussi des naïfs, des rancis, des recuits rouge brique qui savent qu’ils vont crever s’ils n’entendent pas ce soir la parole qui les convaincra de renoncer au feu liquide, de vieilles pommes ridées au fond des orbites desquelles brûle une espièglerie retrouvée, des sages d’occasion, des fous devenus étrangers à eux-mêmes, des rechuteurs qui n’y croient plus mais qui reviennent quand même, bref "tout ce que la ville produit de sportif et de sain" chantait Lavilliers en parlant d’autre chose. Le produit est partout, ils apprennent que leur salut réside dans le fait de s’enfermer à l’extérieur. Ma voisine en sort une qui m’éclate : "je suis nulle, cette semaine j’ai encore pas réussi à maîtriser le lâcher prise…" elle ne peut aligner deux phrases sans y glisser ses mots-fétiches : culpabilité, honte, orgueil, colère, minable…comme des tics de langage qu’elle psalmodierait pour épuiser la veine. Elle souffre, c’est évident, mais comment lui faire entendre que c’est inutilement ? Il y avait un swâmi qui disait ça, "pourquoi souffrez-vous inutilement ?" Elle parle pour s’entendre parler, pour reprendre pied dans l’existence. Acharnée de l’auto-flagellation, il faudra qu’elle brûle toute son essence dans ce domaine. Après la réunion, je la prends à part, pour ne pas risquer de la blesser devant les autres, avec sa sensibilité de serpillère mal rincée (j’ai la même, mais c’est tellement facile de voir chez elle les traits saillants et à peine caricaturés de mon propre théatre intérieur, et puis elle dit n’avoir pas d’humour mais j’arrive toujours à la faire rigoler de ses malheurs, ça dure ce que ça dure mais pendant ce temps elle est pas à remâcher son ressassement) elle a peine à croire qu’elle ait pu dire ça, "maîtriser le lâcher prise" ça lui paraît énorme. Dans la semaine on s’appelle plusieurs fois, elle se retartine de culpa, je lui explique que ça ne marche pas comme ça, et que c’est juste une habitude à déconstruire, qu’elle veut briller dans le noir puisqu’elle est fâchée avec la lumière, mais qu’il s’agit toujours de se distinguer des autres, et que c’est un rêve d’une grande banane alitée. Avec elle, je n’ai ni attentes ni exigences, et j’ai l’impression de servir à quelque chose, ça me fait des vacances.

samedi 11 février 2006

La vérité toute crue (alors faut bien mâcher)


Je ne suis pas réductible à la somme de mes manques.

Commentaires

  1. Bonjour john, je suis desolée de te deranger, ms je cherche de l’aide, peut etre pourras tu me donner quelques conseils… Je suis avec mon copain depuis bientot 2ans. j’ai decouvert vers le debut de notre relation qu’il regardait des films X et comme cela me mettait mal a l’aise je lui ai demandé de bien vouloir arreter. Apres discussions, il m’a fait la promesse de tout stopper. Or qq mois plus tard j’ai vu qu’il avait trahi ma confiance. je lui en ai parlé et ai decidé de lui laisser une nouvelle chance. Ms il y a qq jours il m’a avoué qu’il avait recommencé. Des amis m’ont parlé de dependance pornographique, j’ai fait des recheches et je suis tombée sur le site de orroz puis un lien vers ton blog. j’ai discuté de dependance a mon copain ms il n’a pas l’air de le prendre tres au serieux. comment faire pour lui faire accepter son probleme afin qu’il decide lui meme de se soigner? et moi, quel comportement dois je adopter pour le soutenir et faire en sorte qu’il guerisse et ne rechute pas?
    Je t’en prie, donne moi qq conseils pour que je puisse sortir mon couple de cette situation…
    Je te remercie d’avance et te souhaite bon courage pour la suite.
    Cristelle

  2. le problème c’est que tant qu’il se considèrera comme usager récréatif, il ne verra pas en quoi le fait de se tirer sur la nouille devant des cybercréatures devrait être néfaste, en quoi ce serait une maladie ou un problème nécessitant un soin ou un effort particulier de sa part. Et s’il est réellement dépendant, ça le terrifie sans doute assez pour qu’il soit dans le déni - vis-à-vis de toi mais d’abord de lui : “même pas accro, même pas mal, et d’ailleurs tous les mecs font ça” (c’est faux mais ça rassure.)
    tu trouveras une mine de conseils pour les dépendants et leurs conjoints sur le forum d’orroz, qui a été “gelé en l’état” en janvier mais bourré de pépites en consultation libre : http://orroz.forumactif.com/
    bon courage.

jeudi 9 février 2006

Rédemption de l’objet fascinatoire II

Ce matin au volant de ma voiture j’ai croisé la trajectoire de la publicité Calvin Klein, et j’ai immédiatement saisi pourquoi il est si difficile d’obtenir la rédemption de l’objet fascinatoire (qui consiste à voir de quelle manière on peut retrouver Dieu à travers lui.) Pourtant l’espace d’un instant je suis bien remonté de la créature au Créateur, en me disant au passage "bien joué, Dieu, c’est vraiment du beau boulot" mais ce fut très passager; l’instant d’après j’aurais bien félicité le Père dans l’espoir de lui soutirer l’adresse de sa Fille. Bref, quelque chose de vorace et de très rapide est remonté à la surface et s’est accaparé ce qui s’annonçait comme un moment de pure perception. J’ai alors tenté de m’arracher au regard de cette beauté surréelle qui semblait maintenant m’interpeller sur la façon dont moi, pauvre mortel, je pouvais refléter la divinité, qui à coup sûr m’habite au moins autant qu’elle, pour peu que Dieu soit collectiviste. Il était temps que je me reprenne, j’ai failli emplafonner une vieille dame sans doute peu sensible à l’émanation délétère empreinte de spiritualité diffuse (renforcée à grands coups de Photoshop, mais quand même) de cette créature qui semblait vouloir m’attirer dans son vortex lolitesque pour s’y asperger ensemble de bidons d’eau de toilette. Moi qui trouve les Barbies fadasses, là j’étais touché. Pourtant, d’évidence, tout est fabriqué dans cette image (je laisse Dado/Basilus nous démontrer que grâce au filtre "placage de motif", on peut prouver que ce photomontage dissimule et recèle nonobstat un photogramme de Staline au chevet de sa vieille mère en 1942, qui sera d’ailleurs détourné plus tard par Dali) et on serait tenté de barbie-fier l’opiniâtre auditoire sur les sempiternelles ficelles (plutôt des câbles) de l’imaginaire sexuel que titillent les publicitaires pour nous attirer dans leurs filets. "Euphoria est un parfum oriental envoûtant où l’orchidée rehaussée de notes fruitées exotiques, fait écho au sillage riche et crémeux. Une promesse sensuelle qui révèle la beauté mystérieuse de la femme." A part la promesse sensuelle d’amour inconditionnel (à condition qu’on achète le parfum, quand même), qui ne nous avait pas échappé, sur ce coup-là le texte est quand même le parent pauvre de l’image. Et si ça se trouve en plus ça sent bon, ce truc.
Rien que pour récupérer l’image, je suis tombé sur un forum de malades idôlatres des publicités de parfum qui se les échangent comme des images pieuses.
Heu…certes, je suis mal placé pour leur jeter l’Abbé Pierre. Ensuite j’ai songé à mes camarades, ceux qui errent en liberté préventive du pornobezness comme ceux qui purgent leur peine en l’alourdissant encore devant la maîtresse à tête carrée : Si Dieu se manifeste à toi sous la forme de l’Image de La Femme, où puiseras-tu la force d’éviter la crucifixion de son regard ?
Et pourtant, comme le disait Flo, il est clair qu’ici plus qu’ailleurs, on absolutise les créatures (fascination), on oublie Dieu, et le résultat, c’est la colère, car la créature est vide en soi, même si, d’une certaine manière, Dieu ne réside pas en dehors d’elle. Adorer l’apparence à la place de l’absolu est une erreur, mais croire que l’absolu réside en-dehors de l’apparence est aussi une erreur.

Commentaires
  1. >> Je laisse Dado/Basilus nous démontrer que grâce au filtre “placage de motif”, on peut prouver que ce photomontage dissimule et recèle nonobstant un photogramme de Staline au chevet de sa vieille mère…

    Chouette, je vais me coller tout de suite à la résolution de ce problème! :) ))

    >> on oublie Dieu, et le résultat, c’est la colère, car la créature est vide en soi, même si, d’une certaine manière, Dieu ne réside pas en dehors d’elle.

    Je ne sais pas comment tu dégottes ces citations de Flo, mais quand je les lis sur ton blog, je ne reconnais plus le style de Flo, j’ai l’impression que c’est un photogramme de Saint Jean de la Croix au chevet de Sainte Thérèse d’Avila. Tu les retouches sous Photoshop ? O_o

  2. et bien je suis arrivé au hasard sur ton blog. je venais juste de taper “publicité euphoria créateur calvin klein”
    et oui lol je cherchais le créateur de cette pub (que je n ai toujours pas trouver lol)
    enfin bon j a lu ton article et tu ma bien aider.
    je te raconte ma vie mais bon faut que je la raconte a quelqu un… on nous a demander de faire un série de 15 croquis sur des pub et donc voila j ai troette pub qui ma bien boté et grace a toi et a un autre blog jai mon analyse presque fini… merci bcp!!!!!
    kiss

mercredi 8 février 2006

4 mois demain



Je croyais que le sevrage recelait une certaine grandeur, et me shootais à l’égo pour faire décolérer ma viande; mais me prenant pour un minable le reste du temps, je ne puis aujourd’hui que me détourner avec raison de l’idée même de grandeur ! elle m’acculerait au désastre. comme j’ai dit à ma psy, et elle n’a pas manqué de me rentrer dedans derechef, "j’ai très peu de chances de m’en sortir". C’est cette idée à priori défiante qui me permet de reconduire la vigilance.
D’ailleurs c’est pas le sevrage qui est grand, c’est la dépendance qui est affreuse.
Comme le dit Roujsend, Le monde est une merveille, le simple fait d’exister est une chose fabuleuse. Le trou entre cette intuition et mes perceptions actuelles me donne idée du chemin à parcourir. Comme le disait ce paysan inspiré :
Seigneur, ayez pitié de moi, écrasez tous les autres !
Travail en cours avec les phosphènes.
La simple idée d’écrire une ânerie de trop sur ce blog me fait chauffer le moteur. Et pourtant c’est pas l’envie qui m’en manque, entre le pape, les arabes et charlie hebdo. Comme par hasard, l’adsl et le téléphone déconnent à mort en ce moment. Qu’ils soient bénis.
Je reviendrai quand je serai calmé.


Commentaires

Quelque soit la profondeur du trou à franchir, aucun seigneur ne te prendra en pitié… Tiens moi au courant de ton travail avec les phosphènes

jeudi 2 février 2006

un peu de violence gratuite




Avant, il y avait Happy Tree Friends, et on se disait que c’est Walt Disney lui-même qui avait semé la graine de la violence et de la débilité cartoonesque, avec ses mièvres paradis animaliers, son obsession d’une nature utopiale et bien pensante, et que ceux-là poussaient juste le bouchon un peu plus loin que les années 50 ne le permettaient à Tex Avery. Et depuis que l’esprit ricanant du Harakiri 70’s avait été ébarbé-recyclé par les pubards 90’s, on s’inquiétait pour le devenir de la dérision transgressive, menacée à tout moment de s’effondrer en transgression dérisoire, et d’y perdre sa causticité et son acuité, dépossédée de ses attributs par les aigrefins de la parodie, et vidée au passage de toute validité philosophique par les professionnels de la profession : toute violence critique qui s’installe dans la durée finit par s’asseoir sur un strapontin du pouvoir. Les guignols de l’info sont aujourd’hui une institution qui n’effraie plus personne, quelle que soit encore leur virulence.
Puis vint "Ferraille Illustré", magazine de BD post-moderne dont les choix éditoriaux semblent être basés sur une volonté sans cesse réaffirmée de provoquer l’effondrement du lectorat et sa désaffection durable. Parution erratique et confidentielle, (on en est à environ un numéro par an), dessinateurs débutants et/ou maladroits visiblement promis à nul avenir dans la filière aujourd’hui très sectorisée de la narration graphique, scénaristes cultivant l’absconnerie et l’hermétisme. Les parties non illustrées du magazine s’épuisent en un obscur galimatias satirique dont on peine à distinguer l’objet, emprutant à divers courants graphiques et littéraires du début du XXème siècle : ni des situationnistes (trop jeunes) ni des branleurs (trop cultivés). Et alors ?
Récemment, ils ont créé un site internet. Le Supermarché Ferraille est une déclinaison de l’épouvante sur le mode du détournement ludique, mais sa visite engendre un malaise persistant : on ne peut plus après avoir erré dans ses rayons continuer à collecter d’un oeil indifférent les prospectus publicitaires pour les quinzaines promotionnelles dont les grandes enseignes de la distribution agro-alimentaire abreuvent nos boites aux lettres provinciales au kilo, et que nous enfournons distraitement dans la poubelle "papier" en songeant à autre chose : l’obscénité nous assaille enfin sous une forme mainstream.
De la même façon que l’intelligence et l’humilité peuvent marcher main dans la main, à condition que l’humilité soit devant, la méchanceté et la bètise peuvent bien chevaucher de concert, mais il vaut mieux que ce soit la méchanceté qui dirige.
Ils sont albigeois, hérétiques, et leur cruauté ne peut donc être imputée à l’impossible réparation du préjudice subi quotidiennement par l’exiguïté de leurs appartements parisiens.
Alors, dans quel but ? Vers quel destin ?
Cette dernière question reste souvent sans réponse, et c’est pas ce soir que je vais m’y colleter.

Commentaires

  1. C’est génial, il y en a un à Colomiers, juste à coté de chez moi ! J’y cours de suite acheter des pizzas en conserve !

    Euh… si vous entendez plus parler de Dado, c’est que j’ai fini en foie gras de chômeur. :(

  2. Un nouveau signe des temps qui me colle des frissons…