dimanche 26 février 2012

Gratitude Attitude

 -mail envoyé à un psychiatre qui me connait comme s'il m'avait fait-

Bonjour professeur V.
Je me réjouis que mon mail de rétablissement vous ait atteint !
(...dans tous les sens du terme)
Je travaille très correctement avec le docteur L, que je vois mensuellement, et qui fut le témoin vigilant et attentionné de mon mieux-être je suppose assez spectaculaire pour un regard extérieur, intuitif et distancié, comme il sied à un psychiatre conventionné ;-)
Sur ma demande pressante, nous avons opéré ensemble la réduction de mon traitement médicamenteux, car les antidépresseurs, de béquille nécessaire et efficace, s'étaient progressivement transformés en une fusée dans le derrière, si je puis m'exprimer ainsi, et occasionnaient des effets secondaires amusants mais fatiguants pour moi et les miens : hyper-activité, insomnie, graphomanie…
que j'ai habilement canalisés dans les tuyaux idoines
Il y a eu un pic qui a culminé il y a un mois, du fait d'une impression de clarté intellectuelle peut-être inédite dans mes annales, et depuis ça se stabilise doucement mais je suis quand même assez high,  je reste très productif, mais je ne néglige pas pour autant de m'investir dans ma vie réelle, puisque internet c'est bien joli mais ça compte pour du beurre, passez-moi l'expression...

Je vous épargne mes commentaires et sentiments de gratitude devant l'évidente jubilation (non-sexuelle) à avoir retrouvé plus que mes moyens intellectuels, malgré une forte envie d'envahir la Pologne, actuellement en phase de régression.
Je suis actuellement en sevrage progressif : je prends 1/2 Seroplex 10 mg tous les 4 jours, et les bénéfices ne s'estompent pas. Les inconvénients, je l'espère, vont régresser. Je dois avoir l'organisme complètement saturé de cette saloperie qui m'a évité de rester par terre plus que nécessaire/
Que demander de plus ?
Le docteur L pense que si je manifeste de tels troubles de l'humeur à l'issue du traitement, c'est que je dois avoir une fragilité thymique en dessous, et on envisagera dans un second temps de traiter cette hypomanie avec du lithium, mais rien ne presse puisque le temps m'a été rendu, bien que j'aie l'impression d'en avoir fort peu pour faire les trucs vraiment importants, du fait de l'hyperactivité, qui ne consiste pas uniquement à écrire des trucs plus ou moins inspirés sur mes blorgs.
Merci d'avoir été là et d'avoir fait ce qu'il fallait au moment le + difficile : me faire hospitaliser au CHU quand j'étais vraiment en danger.
A l'usage il y aurait beaucoup à dire sur la grandeur et les misères de la psychiatrie publique, mais on déborderait du cadre de ce témoignage de gratitude, et ça ne doit pas m'empêcher de concrétiser mon projet de passer offrir une boite de chocolats aux infirmières de l'hôpital de semaine du pavillon de Saint-* qui m'ont supporté, et en supportent d'autres, dans des états moins réversibles que le mien.
Je serai à la réunion de lundi soir, peut-être nous y croiserons-nous.
Je vais jeter un oeil à des vieux papiers pour voir si je trouve quelque chose d'intelligent à y dire, mais il vaut mieux que ce soit spontané.
 Francis Lebrun, sors de ce corps !

vendredi 24 février 2012

Nuit du 19 au 20 novembre 2010

Vers 22 heures et des poussières, ma sœur arrive en voiture de Grenoble, et on va voir maman à la clinique, à Castelnau, pour soulager mon frère qui y est depuis ce matin.
Maman a le visage déformé par la douleur et par le masque à oxygène qui lui cisaille l'arête du nez. Elle est inconsciente, placée dans un coma artificiel et miséricordieux, elle respire par la bouche avec un petit chuintement de mauvais augure, comme une chaudière proche de la casse. Ses bras sont parcourus de tremblements, ses sourcils se froncent, comme sous l'effet d'une contrariété qui ne parviendrait pas à franchir le seuil de la conscience.
On demande du rabiot de morphine aux infirmières, mais elles nous mettent en garde contre le danger, que ça peut raccourcir le temps qui lui reste. 
Tu parles qu'on s'en fout, au seuil de l'irrémédiable.
Mon frère dit que hier il a vu ses yeux s'ouvrir, mais là ça se voit qu'elle n'est déjà plus là, on lui tient les mains, on lui masse le crâne, papa voudrait qu'on passe la nuit tous les quatre autour d'elle, il s'allonge dans le second lit de la chambre que le personnel a mis à notre disposition, ce qui n'est jamais très bon signe, et il pique un petit roupillon sans sommations.
Mon frère dit que hier, il lui a demandé de serrer sa main si elle l'entendait, et qu'elle  qu'elle l'a serrée un petit peu.
C'est encourageant, mais pas trop.
Vers 1 heure du matin, on envoie papa et soeurette dormir rue R. et on se relaie au chevet de maman, je prends le 1er quart, comme quand on faisait de la navigation de nuit, bien que j'aie cessé de naviguer en famille dès que je n'y ai plus été contraint par mes parents, je prends les mains de maman dans les miennes, je cherche la bonne position sur ma chaise, pour ne pas m'endormir, en lui tenant la main je mesure combien le lien entre nous s'est défait, effiloché, que je n'ai rien vu venir, je ne l'ai jamais vue comme une petite vieille mais qu'elle a quand même 75 ans et qu'elle est complètement bouffée de l'intérieur par différents crabes en phase terminale et que ça fait une semaine qu'on le sait, et que c'est un peu irréel tout ça mais ça a quand même l'air d'être en train d'arriver pour de vrai, alors je te serre la main et je te dis que si tu veux partir si t'as trop mal, c'est bon, tu peux y aller, on est là, près de toi, tu peux lâcher prise, t'en aller, et j'alterne ça avec des phases de somnolence, bercé par le respirateur mécanique qui pulse son oxygène à jets continus, et maman se met à respirer plus régulièrement depuis son injection de Dafalgan, elle ne fait presque plus son petit bruit de roue voilée, et à 5:00 du matin je réveille mon frère pour qu'il me remplace et je m'allonge à mon tour, je débrancherais bien ce foutu respirateur, je vois pas l'intérêt, on sent bien que son corps est occupé à brûler ses dernières réserves de fuel avant de pouvoir s'éteindre…
Ces mouvements réflexes, cette fièvre incongrue, cette respiration qui coûte plus qu'elle ne rapporte, tous les signes vitaux dans le rouge, et à 6:40, mon frère me réveille, il me dit qu'elle vient de cesser de respirer, c'est l'absence du chuintement qui l'a alerté et fait émerger de son demi-sommeil hospitalier, il me dit qu'elle avait les yeux ouverts, je touche son front tiède, c'est difficile de sortir du pâté pour constater le décès de sa mère, mais quand c'est ton frère qui te l'annonce, qui vit à Bruxelles et que tu ne vois pas si souvent, ça peut aider, et on appelle les infirmières, qui ne peuvent qu'entériner et nous dire qu'on a 90 minutes avant l'arrivée des pompes funèbres, je dis à mon frère d'appeler Papa sur mon portable mais je me trompe de numéro en mémoire, au lieu de tomber sur papa il réveille ma femme alors il l'engueule comme si c'était elle qui s'était trompée de numéro « mais enfin qui êtes-vous» « ah mais oui mais vous qui êtes vous aussi d'abord » et puis ils finissent par se reconnaitre, on est abrutis et piteux mais surtout glauques, c'est la première fois que notre mère meurt, on a  insuffisamment répété la scène, je me dépêche de l'embrasser sur le front et de la saluer tant qu'elle est encore tiède, me rappelant à la mort de mon grand-père combien le contact d'un cadavre refroidi est désagréable.
Commence alors le ballet du personnel soignant, une infirmière sans doute un peu new-age fait entrouvrir la fenêtre de la chambre pour que l'âme maternelle puisse s'envoler, et les milliers de trucs à faire, père et soeur arrivent, je me retrouve avec soeur à recevoir un assez long coup de fil d'une tante éloignée dans la salle d'attente de la clinique, dans une lumière froide la conversation dérive vers l'absurde d'une aube sans sommeil, et on évoque toutes les années passées, les non-dits familiaux, et puis on rentre à l'appartement rue R, papa a décidé de faire ramener le corps à la maison, on sait que l'incinération ne pourra pas avoir lieu avant mercredi, c'est le gars des pompes funèbres A* qui l'a dit, tiens c'est pas le nom qui nous avait été glissé par les gentilles infirmières, mais on n'a pas la tête à y réfléchir, il faut préparer la maison, trouver de quoi manger pour ce midi, commencer les tractations téléphoniques avec les conjoints, les enfants, qui veut venir, qui veut rester.



Nuit d'ivresse au Palais des Congrès de Perros-Guirec, 1968


jeudi 23 février 2012

Ruminescences

Attends voir...avant de prétendre "avoir" (sic) un ego et aspirer à ne plus en être le negro, faudrait peut-être qu'il soit déjà arrivé à maturité, nan ?
Et comment le sauras-tu ?
Ne t'inquiète point de cela pour l'instant, tout vient à son heure.
En attendant, comment te désencombrerais-tu d'un clébard chétif et geignard qui guette le moindre de tes faux pas pour te bondir dessus et te léchouiller ?
En lui jetant des pierres, encore des pierres, encore pus grosses, avec des ahanements qui ne traduisent que ta propre crainte ?
Wouarf wouarf.
Ne crois-tu pas que si ça devait marcher, il t'aurait lâché la grappe la dernière fois que tu as essayé cette voie ?
File-lui plutôt un bon bifteck acquis à vil prix au rayon remballe du Super U.


Il te sera reconnaissant.
Et un soir, tandis qu'il somnolera apprivoisé à tes pieds, le ventre plein dans la tiédeur d'un bon feu, crack, un bon coup de fusil, nom de d'là.

Henri Mi-chaux mi-frette, du moment que ça se boué. 

mercredi 22 février 2012

I'll have the waldorf salad HD - by Zoltán Lányi -


I'll have the waldorf salad HD from Zoltán Lányi on Vimeo.


Technologique et organique, subtil et versatile.
Je sais, il aurait eu plus de place, à savoir la sienne, sur mon blog tombal, mais le caveau est déjà plein jusqu'à mi-mars, et les morts et les vivants s'entremailent en une pile de brouillons résolus à partouzer ad mortem aeternam.
C'est d'ailleurs pour ça que je me suis résolu à enterrer mère at home, mais à bonne distance de mon porc d'attache.
Bientôt il ne va me rester comme solution finale que l'incinération à ciel ouvert, mais ça fait tousser les voisins, j'ai déjà eu des plaintes.

mardi 21 février 2012

19 novembre 2010

Bon, on va essayer d'y aller doucement.
Je boucle précipitamment le dossier "Jeunes et pros" avec les étudiants de * et je saute dans le premier train pour Montpellier où, selon toute vraisemblance, ma mère se meurt depuis quelques jours.
Ce midi, mon frère m'a appelé, pour me dire de ne pas paniquer, il est déjà sur place, mais que je pouvais m'attendre à une mauvaise nouvelle dans l'après-midi, que c'était juste très triste.
Quand votre frère vous dit de ne pas paniquer, c'est pas bon.
Cela fait 8 jours qu'elle est hospitalisée pour une série d'examens, dont un IRM qui a révélé des métastases importante sur les reins, le foie, les vertèbres...
Je bosse chez ** depuis mars et je pense que ça m'a fait du bien d'être à plein temps,  j'ai dû rationaliser mon temps libre et cesser d'entretenir des pensées stériles - en tout cas c'est ce que j'intuite vaguement à la lumière noire du  « roman russe» d'Emmanuel Carrère que je lis dans le train, et je vais à Montpellier aider ma mère à mourir.
Si je peux.
Au soir, je fais le trajet à pied de la gare à la rue R*, ça n'a pas dû m'arriver depuis que j'étais étudiant à Bordeaux; la ville est sale comme d'habitude, mais aussi plus qu'à moitié éventrée par les travaux du tramway, qui succèdent à ceux de la gare.
J'ignore comment font les riverains pour ne pas se massacrer à coups de fusil à pompe, car l'exaspération devant les effets de ce qui ressemble à une guerre civile, qui dure depuis tant d'années, aurait dû leur faire sauter les plombs depuis longtemps.
Papa m'accueille à l'appartement, il parle tout le temps, comme il ne m'a jamais parlé, il m'explique les différentes étapes de la dégradation de l'état de santé de maman.
Les symptômes qui ne nous ont pas alertés à temps, ces infections urinaires à répétition, qui réduisaient son autonomie trottinante à la proximité rassurante des sanitaires publics ou privés à portée de ballade, ces douleurs dans le dos, ces plaies mystérieuses aux jambes, pour avoir juste effleuré un meuble par le travers du mollet, et qui ne guérissaient pas.
Alors elle s'entourait les jambes de bandelettes, et papa l'appela brièvement "mes 7 plaies d’Égypte", mais la plaisanterie fit long feu.
Et depuis un mois, l'engrenage : les chutes, d'abord dans l'appartement, puis dans la rue, sur le cours Gambetta éventré dont dépassait une innocente ferraille, et la fracture de la mâchoire, masquant la fracture de la vertèbre, retardant les examens prescrits par le médecin de famille, la semaine et demi de repos forcé à la maison, le mail inquiétant de ma soeur à la Toussaint devant maman  alitée et affaiblie, et la dégringolade finale.
Cela fait 9 jours qu'elle est en clinique, on essaie de la préparer à une hypothétique intervention sur la vertèbre pour éviter la paralysie, la moelle épinière risque d'être pincée, mais comme elle est sous anticoagulants, on lui a injecté les corticoïdes, massivement, et il se peut que ça ait envoyé promener les métastases dans tout l'organisme, en tout cas elle est dans le coma depuis hier matin, et le médecin de la clinique qui a demandé si on voulait la mettre en réanimation, tout en déconseillant de le faire, et papa lui a dit que si son avis était pris en compte, il préférait qu'on ne le fasse pas, et maintenant c'est une question de jours, et elle disait qu'elle ne voulait pas rester la dernière, et la solution ça aurait été que je parte avec elle mais je ne suis pas prêt, j'ai envie de vivre, il a un petit rire en disant cela et il parle vraiment tout le temps, mais c'est parce qu'il a pris les médicaments pour son arythmie cardiaque, et de toute façon c'est soit l'effondrement soit l'excitation, alors il préfère être excité.


 Sauf ma mère et ma sœur, vers 1970.

lundi 20 février 2012

Fin juillet 2010 à Albi

J'ai retapé un  vieux vélo chez mamie, et me voilà parti à pédaler comme un malade dans la côte de saint Grégoire, ma foi longue et raide. Comme je n'ai pas assez mangé tous mes cornflasques au petit déjeuner, j'ai présumé de mes forces, et je manque un peu d'énergie pour le retour. Alors, pour arriver à l'heure de la soupe, avec laquelle on ne rigole pas, je me mets à scander « On va y arriver, on n'est pas des pédés ! » avec la grâce d'un rugbyman en goguette.
Jetant un bref coup d'oeil vers le bas au cadre de mon vélo pour voir s'il encaisse bien l'accélération qui doit frôler les 3 g, j'y découvre un vieil autocollant tout décoloré qu'il affirme que ce vélo a été vendu, sans doute très peu de temps après Jésus Christ, par « J. Pédégaye » un nom basque bien de chez nous, qui apporte quand même un démenti cinglant à ma mâle ritournelle.
Je continue la descente en faisant moins le malin.