samedi 7 janvier 2017

Le téléphone pleure (lorsque tu n’es pas là)


En journée, je suis rarement à la maison, ce qui me permet d’échapper à tous ces démarchages téléphoniques qui ont transformé ce merveilleux outil de liaison entre êtres humains, bien pratique quand on en a besoin, en un objet d’aversion et de hantise.
Au début, je répondais poliment, mais maintenant, dès que j’entends un silence un peu prolongé suivi de « bonjour monsieur Warsen, c’est Fatima votre partenaire EDF… », je raccroche.
Fatima elle a un métier de merde, elle appelle de Rabat ou de Tunis, elle est payée à la tâche, alors j’ai longtemps fait un effort de politesse, mais Fatima elle est Légion, elle me harcèle, elle est insatiable, elle oublie d’une fois sur l’autre que je lui ai déjà expliqué que je n’étais pas intéressé, elle revient sans cesse à la charge.
Aujourd’hui c’est Robert qui appelle.
Je suis surpris, sans doute un peu raciste : je ne raccroche pas.
On est entre français de souche, bien culturés.
Il m’a eu par surprise.
Le baratin habituel, est-ce que je suis au courant des nouvelles mesures d’économies d’énergies, avec quoi je me chauffe, la surface de ma maison, ça dure déjà depuis 5 minutes et je me demande comment éconduire le fâcheux puisque je n’ai besoin de rien, et puis à un moment donné, « vous et votre femme vous êtes bien en CDI ? » alors là, quand même, je lui dis gentiment « ça ne vous regarde pas ».
Réponse immédiate : « Connard, va ! » et il raccroche.
Je suis bien attrapé.
Ca m'apprendra à être raciste.
Putain, Robert, il est où ton Esprit de Noël ? 
Malgré la consolation de savoir que « l’enfer est pavé de démarcheurs téléphoniques congelés » (Terry Pratchett et Neil Gaiman), je m’interroge.
Soit Robert nous prépare un burn-out et il devrait se chercher un métier honnête, soit c’est un farceur, mais sa manière de prendre son pied est encore plus tordue que celle de Pervers Pépère.
Du coup, je découvre qu’il existe un service gratuit pour en finir avec l’enfer du démarchage téléphonique

Youpie, je m’inscris !

La semaine prochaine, je vous raconterai comment https://www.qwant.com, le moteur de recherche européen qui ne trace pas ses utilisateurs, a changé ma vie.

[Edit] 
Interrogé sur le sujet, mon père m’a dit qu’il connaissait l’existence de Bloctel, mais qu’il préférait insulter les cyberprolos du télémarketing au téléphone, ou laisser le combiné décroché. 
C’est pas la première fois qu’il me fout la honte.
Au rayon des stratégies débiles, j’en ai trouvé d'autres, qui s’attaquent aux effets plutôt qu’à la cause.
http://www.raton-laveur.net/articles/telemarketing.html

[Edit du 25/01/17] 
Ca ne marche pas terrible, mon inscription à Bloctel.
Je n'en attendais pas de miracles, mais quand même.
Le pouvoir intrusif du capitalisme dans l’intimité de la sphère privée ne cesse de me fasciner.
C'est l'incarnation du Mal à l'état pur.

mardi 3 janvier 2017

Esprit de Noël (5)

Ca sort demain.


Voilà pourquoi le cinéma français va mal.
Il est beaucoup trop narcissique.

lundi 2 janvier 2017

Esprit de Noël (4)

Les filles ont passé un marché non négociable avec papa : pour le réveillon, elles s'occupent de tout, et il n'a pas le droit de pénétrer dans la cuisine. 
Elles ont acheté du poisson et du riz spécial pour confectionner des sushis, des noix de coquilles Saint-Jacques, des fruits en quantité. 
Il a dressé la table dans le salon. Il a mis cette vieille nappe jaune que je n'ai plus vue depuis longtemps, ornée de petits personnages basques qui jouent à la chistera, il a ressorti les vieilles assiettes de faïence bretonne décorées d'un mandala en spirale qui nous donnait jadis l'impression d'être aspiré vers les royaume d’existences inférieurs en mangeant notre purée. 
Il prononce maintenant une allocution qu'il veut solennelle, il explique que si il a sorti cette nappe c'est en mémoire de celle qui n'a pas pu être parmi nous ce soir. Je pense qu'il veut parler de maman, qui est aux cieux, mais je lui demande s'il parle d'Élisabeth et je lui fais remarquer combien sa formulation est ambiguë... Il me répond qu'Élisabeth n’aurait rien à faire parmi nous, et que l'ambiguïté, elle est dans ma tête. 
Notre problème commun tient à ce défaut d'dénonciation. Il ne peut user que de périphrases pour désigner notre mère, la mort de notre mère, la chambre qu'il nous a attribuée et qu'il désigne comme la «grande» chambre alors que de tout temps ce fut «sa» chambre, enfin plutôt «leur» chambre, celle qu'il partageait avec maman, chambre qui a aussi accueilli sa dépouille mortelle, pendant les quatre jours qui ont précédé sa crémation. Il nous fait croire que c'est là qu'il dort d'habitude, mais je pense qu'il a annexé mon ancien studio, qui dispose d'une salle de bains indépendante et qu'il partage avec Élisabeth, qui elle ne dormirait pour rien au monde dans la chambre de la morte. 
C'est la première fois que je dors dans la chambre de mes parents, et tous les matins je me réveille avec un putain de mal au dos. Je mets ça sur le compte d'une literie un peu molle et des nombreux kilomètres que nous faisons chaque jour en chaussures de ville dans ce si charmant et si exotique centre historique de Montpellier.
Bon, après sa remarque assassine sur mon ambiguïté supposée, que j’ai bien cherchée sans doute, moi qui suis allergique à l'implicite, mon mal au dos s'amplifie, au point de devoir quitter la table, pour suivre d'un œil souffreteux la suite des agapes depuis le canapé du salon, jusqu'au moment des cadeaux. 
Deux écoles s’affrontent : les Traditionalistes, dont je suis, qui préfèrent déposer les cadeaux au pied du sapin jusqu'au lendemain matin – d'ailleurs de sapin y en a pas, les Traditions se perdent – et les Réformistes, qui sont pour qu'on fasse la distribution tout de suite maintenant, eu égard aux enfants surnuméraires qui vont aller dormir chez Viviane avec l'insatisfaction dans les yeux. C'est la première fois que je vois mon neveu et ma nièce être aussi discrets et réservés, ils ont compris que quelque chose clochait chez leur grand-père et ils font moins les malins que d’habitude, les bougres.
J'abandonne la partie au milieu de la répartition équitable des cadeaux qui, cette année encore, penche plus du côté du Noël consommable que du Noël durable. Je vais me coucher, j’ai trop mal. 
Dans la nuit, je suis contraint de me relever pour aller vomir. Ce n'est pas que j'aie trop mangé, et encore moins trop bu puisque je suis abstinent d'alcool depuis 25 ans, mais la douleur me rend malade au point de dégobiller mes coquilles Saint-Jacques après m'être péniblement traîné dans le couloir parce qu'apparemment la sciatique m'a mis la main dessus et son gros doigt de feu dedans. 
Ce qui m'inquiète, c'est que ça me brûle autant devant que derrière, à l'aine et à la hanche, comme si il y avait en même temps une cruralgie, cochonnerie dont ma mère a beaucoup souffert durant les dernières années de sa vie. Je me rappelle d’un type qui vivait sous cortisone avec des douleurs de dos atroces et sa vieille mère à charge, c’était une caricature du masochiste, je veux pas devenir comme lui, pitié Seigneur.
En attendant, je passe toute la journée du 25 alité, incapable de bouger ma jambe droite sans ressentir une fulgurance affreuse dans le bas du dos. La dernière fois que ça m'est arrivé, à l'été 2015, j'étais sur un petit voilier au large des Baléares, et je remontais tous les matins une ancre de 25 kg en me pliant en deux sur le gaillard d'avant. Au moins il y avait là une cause que je pouvais comprendre. Quant à trouver un ostéopathe sur l'île de Minorque un 15 août c'était une autre affaire, mais une bonne poignée d'anti-inflammatoires m'avait permis d'achever la croisière, certes courbé en deux et en boitillant comme le capitaine Achab, mais pas dans cet état d'invalidité absolue qui contraint ma femme à appeler SOS médecins un jour férié tellement j'ai l'air en forme. 
Je somnole toute la journée entre deux crises de hurlements, quand j'oublie que je suis paralysé et que j'essaye de me lever avec l’outrecuidante idée d’aller faire pipi. Le médecin diagnostique une hernie, prescrit un scanner, ordonne de la cortisone et de la Lamaline, cocktail d'opium et de paracétamol, le traitement qui a permis à ma chérie d'achever notre tour des Rocheuses en 2013 quand elle-même a subi les foudres d'une hernie discale cervicale. Je réfléchis. Notre avion repart le 26 au matin, et même si je n'ai pas vu grand chose de la magie de Noël, je n'ai nulle envie de rester à Montpellier, à partager des moments privilégiés de rabe avec mon papounet chéri. 
Bon, enfin, si il faut, il faut, mais je préférerais que non.
Alors, dans la nuit qui précède le départ, je parviens à ramper jusqu'à la salle de bains et à me bourrer d’anti-inflammatoires et d’anti-douleurs, pour être sûr de faire partie du voyage. Et ça marche ! J'arrive à me lever ! Au sana ! À monter dans la voiture de ma sœur ! À atteindre l'aéroport ! À monter dans l'avion ! A en redescendre ! A rentrer chez moi ! Cet exploit reste inexpliqué car dès le lendemain, la paralysie me reprend, le nerf sciatique est vraiment coincé et cela fait maintenant une semaine que je vis le plus clair de mon temps allongé, le seul état toléré par ma colonne vertébrale. 
Moi qui voulais faire un peu de ménage dans mon bureau pendant les fêtes, elles sont passés et je n'ai rien vu passer. 
À part cette figure du père que je voudrais aimer, dont je voudrais qu'il m'aime, mais qui apparemment n'aime que lui, et encore ça se passe pas très bien.
Dès notre retour, ma femme déclenche une gastro ainsi qu'une de ces bronchites asthmatiformes dont elle a le secret depuis qu'elle a arrêté de fumer il y a quelques années, je pense que c'est la tension nerveuse du séjour qui retombe, et que vraiment, entre l'otite du fiston, la lombalgie et la gastro, merci père Noël, c’est trop de bonheur, et c'est pas demain la veille qu'on retournera à Montpellier. 
En bon lacanien, mon fils a diagnostiqué que son papy, y pouvait plus l'entendre, et que moi j'en avais plein le dos.
Notre fille s'en est bien tirée, elle est passé à travers. Trop saine pour se laisser contaminer.
Le matin du 26, avant d'aller prendre l'avion, sans savoir si j'allais en être capable ou non, j'ai entendu un bout de conversation téléphonique entre papa et Élisabeth. Il était en train de tout lui mettre sur le dos, que tout ça c'était parce qu'elle avait fait tomber le couvercle de la soupière derrière le frigo en le fermant trop brusquement parce qu'elle était énervée, et que c'était de le déplacer qui m'avait fait mal au dos, et patali et patala. 
Cette stratégie de chercher un bouc émissaire en toutes circonstances, elle est vieille comme le monde chez lui, et elle a bercé notre enfance d'une culpabilité frénétique. Mais l'entendre faire le même coup à sa nouvelle compagne, j’en étais malade. Dans les jours qui ont suivi, j'ai appelé Élisabeth pour la mettre en garde, mais elle m'a dit « tu sais je connais ton père, il a des bons côtés, et quand j'en ai marre, je peux m'enfuir » ce qu'elle fait d'ailleurs assez souvent. Je me suis aussi rendu compte qu’elle est un peu comme lui, elle n’écoute pas ce qu’on lui dit, elle en capte un dixième et réinterprète le reste à sa sauce, c’est peut-être pour ça qu’ils sont ensemble, ils ont le même déficit attentionnel.
Plus tard encore, papa m'a appelé pour me dire tout le plaisir qu'on lui avait fait en venant le voir, et que c'est vrai que notre nombre l'avait fait un peu paniquer, mais que quand même ça lui avait vraiment fait du bien.

Ce qui permet à ce petit conte de Noël de trouver la fin heureuse qu'il méritait.

Les sushis de Noël.
Putain, je m'en rappelle même pas !
La douleur est une maitresse exigeante, 
qui accapare toute notre attention.


dicté couché sur mon iPad pour cause de lombalgie aigüe - ouille !

dimanche 1 janvier 2017

Esprit de Noël (3)

Ma sœur nous a rejoints depuis ses montagnes, avec mon beau-frère que j'aime bien, et que j'admire secrètement parce qu'il parvient à supporter ma sœur, et leurs enfants que j'aime moins, parce qu'ils sont élevés gâtés pourris comme des enfants-rois, comme nous l’avons été, et que ça ne peut que leur nuire quand ils se rendront compte que l'univers ne tourne pas qu’autour d’eux.
Elle détend un peu l'atmosphère parce qu'elle sait parler à papa comme si il avait 4 ans sans le mettre en colère plus qu'il ne l'est déjà. Elle ne se laisse jamais déstabiliser par ses remarques blessantes. Le 24, elle propose une sortie collective à l'aquarium de Montpellier. Papa refuse de nous accompagner, au prétexte que les poissons sont des cons, et que cette distraction n’est pour lui qu’une vaine perte de temps. Il propose néanmoins d’imprimer les billets réservés sur internet en prévision de l’affluence, mais il cultive une certaine frugalité informatique nonobstant ses 5000 € par mois de retraite, et il a beau être tout fier de son pc qui marche depuis 17 ans, au bout d’une heure et demie il n’a réussi à imprimer que 3 billets sur 8, et mon beau-frêre lâche l’affaire. On imprimera les billets dans une cyber-échoppe sur la route.

Nous marchons jusqu'à la place de la Comédie, puis montons dans un tramway qui roule à un train de sénateur en sinuant à travers tous ces nouveaux quartiers qui, de mon temps, n'étaient guère qu'une friche très faiblement urbanisée, un no man’s land informe menant vers la route de Lattes et de Pérols, parcours céleste effectué de nuit dans des 2 CV qui nous menaient en brinquebalant au bain de minuit entre Palavas et Carnon.
C'était le bon temps, nomdidj’ou.
L’aquarium est situé dans le quartier Odysséum, une énième zone commerciale sortie de terre du temps où l’empereur le maire mégalomane Georges Frêche voulait prolonger la ville jusqu'à la mer, distante de 30 km, j'ai vu les débuts de cela avec Antigone, imaginé par Ricardo Bofill, une sorte d'agora romaine postmoderne qui venait prolonger d’absurdité architecturale la pyramide de verre du Polygone, mais je n'ai pas assisté aux épisodes suivants de l’étalement urbain qui m’a rendu la ville méconnaissable.
Il me semble qu'elle a quadruplé de volume en s'étirant de tous les côtés possible, déformée au point d'en perdre son âme, ou alors c’est juste un symptôme de désorientation de la personne âgée cyber-dépendante.
La juxtaposition sans continuité de ces strates d'urbanisme hétérogènes confère au trajet une dimension onirique comme ces villes imaginaires que l'on parcourt pendant son sommeil et qui n'ont d'autre solution de continuité que celle que notre conscience de rêve leur confère.
Mare Nostrum, que l'on devine bâti à grands coups de subventions départementales, souffle le chaud et le froid. Il y a un mélange de pharaonisme architectural, et de pauvreté dans le nombre d'espèces et d'espaces proposé au public. Le parcours de visite est balisé de textes scientifiques niveau CE2, et la plupart des spécimens survivent dans des vivariums étriqués, hormis le grand aquarium central indo-pacifique. Le plus réussi, c’est le simulateur de pilotage de bateau dans la tempête, dans lequel nous passons un bon moment de rigolade, car en cette veille de fête l’aquarium est désert et on peut goûter les joies du naufrage pour nous tous seuls (nous les Warsens).

Comble de l’horreur, les manchots du Cap croupissent dans un espace clos qui n’évoque que de très loin leur habitat naturel, ils titubent dans leurs déjections, et de tragiques farceurs ont orné leur caverne d’obscénités anthropomorphes les représentant possédés de l’esprit de Noël tel qu’il est autorisé à se manifester dans une galerie commerciale.
Des manchots avec des cadeaux.
Putain, Blasphémator® est battu à plate couture.
Le déshonneur comme cerise sur le gâteau de l’indignité.

Je repense à Henri Michaux :
"Un bébé crocodile, au sortir de l'oeuf, mord.
Un bébé tigre, lui, assoiffé de lait, avide d'un corps chaud et ami, veut avant tout aimer, être aimé. Mamelles à têter, première innocence des mammifères.
Plus tard, reconversion brutale.
Maintenant, tout à la douceur.
Gare au tigrillon s'il sentait l'agneau.
Heureusement, il sent le tigre.
Avec confiance donc, il peut se frotter sous les pattes terribles, mordiller, déranger, tirailler.
Il ne risque rien.
Assez joué, tout de même.
Mère-tigre le repousse. Maintenant, elle va boire.
Rien qu'à la voir s'approcher de l'eau, on lui donne raison, en tout, et tort à la vache, à la biche, au daim, aux herbivores.
Solennellement, religieusement, prête à tout, elle s'approche du baquet.
Le feu de sa soif rend l'eau sacrée.
Une vache, même mourante de soif, ne peut prendre l'eau avec grandeur, avec considération.
Un certain registre lui a été refusé.
Elle n'ira jamais à l'eau que comme une vache.
La tigresse, elle, ce qu'elle fait, et quoi qu'elle fasse, est important.
Plus que Reine, Roi, un Roi qui a pris une affaire en main, un Roi qui serait en même temps un "dur".
Dans la cage, cependant, tout est dénuement, et l'eau dans le baquet vient d'un affreux robinet rouillé. Mais le tigre est au-dessus du manque.
Le manque, c'est pour toi, le manque et l'agressivité, ce piteux semblant d'audace."
Vu comment il se traine en claudiquant, le manchot n’est pas au-dessus du manque, et si j’ai vu des Américains s’efforçant de mettre en scène des requins « gentils » au SeaWorld de San Diego, on voit ici que dans la hiérarchie militaire des espèces, le manchot est et sera toujours otage.
Condamné à cette existence recluse de zoo par sa vulnérabilité à l’Homme.
On ressort de là un peu sonnés.


L'esprit de Noël par Mare Nostrum


L'esprit du 1er janvier par Xavier Gorce


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samedi 31 décembre 2016

Esprit de Noël (2)

Au troisième matin de notre séjour de rêve, papa prend la tête à sa copine : elle a placé un Tupperware vide dans le frigidaire pour se rappeler d'emporter la moitié du foie gras qu'elle a confectionné pour le réveillon qu'elle va aller passer chez des amies en Suisse en laissant les Warsen en famille avec l'autre moitié du foie gras. 
Dans sa tête, elle ne sera toujours qu'une pièce rapportée sur le tard et sait s’éclipser sur la pointe des pieds quand elle le sent nécessaire. Des fois, ça ne l'est pas. Mais elle se sentira toujours un peu de trop dans la maison du veuf et de la morte, surtout envahie par la descendance. Qu'on la regarde d'un bon œil, et leur histoire semble aussi chouette que celle de « l'amour au temps du choléra » de Gabriel Garcia Marquez. 

Ce matin, c'est la composante « choléra » qui domine. Papa ne supporte pas qu'elle ait mis une boîte vide au frigo, c'est pour lui le comble de l'hérésie anti- rationnelle lui qui se prend pour un être de Raison et qui aimerait bien voir tout le membres de la famille le suivre en rangs serrés sur cette voie royale. 
Ça commence à chauffer pour Elisabeth qui en entend des vertes et des pas mûres sur un ton qui frise l’hypomanie. Ecoeuré, et voulant laisser un peu d'intimité a leur  différend, je quitte la table du petit déjeuner. Quand je reviens, ça a un peu dégénéré. Elisabeth à dû refermer un peu violemment la porte du frigo suite à un agacement légitime, et le couvercle de la soupière qui le surplombait est tombé derrière le frigidaire. Papa est en train de s'acharner avec un escabeau démesuré et un fil de fer à essayer de récupérer l'ustensile de cuisine. 
Aah, ils ont 78 ans, mais ça ne les empêche pas de se chamailler comme de jeunes tourtereaux. 
Puis il abandonne le chantier car il est l'heure de conduire Elisabeth à la gare. Pendant son absence, je fais délicatement glisser le frigo sur le carrelage pour le sortir de son logement, je récupère le couvercle, et je range l'escabeau une fois mon forfait accompli. 
À son retour, il est furax. Il m'agonit d'insultes, comme quoi ici c'est chez lui, et qu'il ne faut rien faire sans lui demander, qu'on ne déplace pas un frigo plein, alors je lui réponds sur le même ton un peu hystérique que le frigo glisse très bien sur lui-même, que ça m'a paru la bonne chose à faire, et que de toute façon c'est fait c'est fait. 
J'en reviens pas de voir en direct live comment il a du mal à accepter que son illusion de toute-puissance se lézarde avec l'âge, et pourtant il veut rien lâcher. Puisque c'est comme ça, on ira déjeuner en ville, où l'air est plus Respirable. Mon fils est de plus en plus pâle, il s'achète un bonnet, il a mal à l'oreille et ne dit plus grand chose. Le soir même, nous sommes invités à l'apéro chez Viviane, une vieille copine de maman que papa n'apprécie guère mais à qui il rend de menus services en souvenir du bon vieux temps. 
Quand elle était venue me sortir d'un précipice espagnol dans lequel j'étais tombé pendant que lui faisait du bateau, par exemple. 
Je la crois inoxydable, vu tout ce qu'elle a traversé, mais elle est presque impotente maintenant, elle a 84 ans. 
Elle a vécu avec :
- Un mari maniaco-dépressif qui refusa toute sa vie de prendre son lithium au prétexte qu'il n'était pas malade, qui a commencé les travaux de trois piscines autour de leur maison sans en finir aucune, qui un soir de crise maniaque a attaché sa femme sur une chaise avec du fil électrique puis s’est barré sans finaliser cette partie de bondage tardive (ils avaient déjà plus de 70 ans tous les deux) et n'a plus jamais donné de nouvelles depuis.
- Une fille nymphomane et schizophrène qui m'a dépucelé quand j'avais 17 ans, et c'était bien agréable. D'ailleurs elle a été invitée à l'apéro, ça fait bien 35 ans que je n'ai pas vue, ça promet d'être intéressant. Sauf si elle n'a pas pris ses médocs et qu'elle part en live, comme le craint papa.
- Son autre fille, c'est juste une Salope Cosmique, qui fait les pires crasses à sa mère, c'est beaucoup plus banal.
Je raconte tout ça à mon fils dans la salle d'attente du médecin qui nous prend en urgence pour son bouchon de cérumen et qui habite providentiellement juste au-dessus de chez Viviane. Il me répond que c'est le genre de choses qu’un père n'a pas à dire à son fils et que c'est pour ça qu'il consultait un psychologue quand il avait des sous, que j’étais en dépression et que j’étais plus étanche. 
Le médecin est content de finir sa journée avec nous, on plaisante finement, puis il diagnostique une otite, prescrit des antibiotiques et ne nous fait pas payer la consultation, puisqu'on est des amis de sa voisine du dessous. On croit rêver.

De retour à l'étage du dessous, l'apéro s’éteint tout doucement, finalement Sylvie ne s’est pas montrée, ça sera pour une hypothétique prochaine fois, mais au train où vont les choses, ça sera peut-être à un enterrement plutôt que devant un bol de cahouettes.

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vendredi 30 décembre 2016

Esprit de Noël (1)

J'ai voulu descendre à Montpellier pour fêter Noël en famille avec mon père que nous ne voyons plus beaucoup depuis quelques années. Ma femme n'était pas ravie à cette idée car mon père a un caractère de cochon. Il met beaucoup d'ardeur à nous éviter tout en prétendant que c'est nous qui refusons d'aller le voir. 
Nous on bosse toute l'année alors que lui est en retraite et encore très mobile, cherchez l'erreur. 
Je ne nie pas qu'il ait mauvais caractère, je ne nie pas son côté pervers pépère narcissique, mais quand même, c'est mon père, il ne lui reste sans doute pas beaucoup d'années à vivre, et si je ne vais pas vers lui tout illuminé de l'esprit de Noël, c'est pas lui qui va faire le premier pas. 
En plus je suis né un 25 décembre donc s'il y'a quelqu'un qui doit être investi de l'esprit de Noël c'est bien moi, même si le Christ est apparemment né en moins 7 avant lui-même comme je l'apprends dans le journal de ce matin, information mise sur le même plan que la spectaculaire disparition de la banquise Antarctique qui déjoue les prévisions les plus pessimistes du GIEC...
…je sais très bien pourquoi papa nous invite pas. C'est parce que nous savons d'où vient sa copine actuelle, qui le connaissait bien avant maman, morte il y a quelques années, et dont il nous a fait promettre de ne pas révéler l'origine à mon frère et à ma sœur. Nous sommes donc détenteurs d'un secret de famille, et à ce titre potentiellement dangereux. Bien sûr tout cela se joue dans son inconscient, il n'a aucune idée de cette stratégie d'évitement. 
Nous voilà donc partis pour quatre jours et demi vers Montpellier, avec des billets d'avion hors de prix, 1200 € à 4, mais quand on aime et qu’on veut faire le bien autour de soi, on ne compte pas. 
Même notre aîné que nous ne voyons plus beaucoup, a cru bon de se joindre à la fête. Pour célébrer ce foutu esprit de Noël sans doute, qui semble aussi crédible que la trêve en Syrie quand elle est suggérée par une résolution de l'ONU.. D'ailleurs alors que cette année tout le monde dans notre entourage familial prétendait fêter Noël chez eux et entre-soi, dès que j'ai émis le désir d'aller chez papa, mon frère puis ma sœur se sont exclamés « Wow trop génial nous aussi»
Mais le domicile familial qui nous a tous vu grandir ne peut accueillir l'ensemble de la fratrie comprenant les conjoints et les enfants. Surtout depuis que mon frère, qui n'était pas le perdreau de l'année, s’est marié l'année dernière avec une richissime héritière d'un empire de la maroquinerie de luxe bruxellois déjà munie d'un enfant, c'est donc lui que mon père va dissuader de faire le déplacement. Heureusement qu’il a de quoi se consoler sur place avec sa nouvelle famille et nous ne sommes pas trop inquiets sur son supposé désarroi de s'être fait rembarrer pour la première fois de sa vie à une fête familiale. 
Du temps de l’Empire Warsen nous n'étions pas une famille très fusionnelle mais c'est vrai que depuis la mort de maman les occasions de se réunir sont rares et on ne crache pas dessus, une fois l’an. 
De façon tout à fait spontanée ces échanges ont souvent lieu l’été à Perros-Guirec, où nous habitions avant d'aller à Montpellier en 1979, et où nous en profitons pour croiser la multitude de cousins qui apprécie tout autant que nous la côte de granit rose. Papa ne participe pas à ces grands déplacements saisonniers sous prétexte que Perros-Guirec il n'a rien à y foutre (il y a quand même passé les meilleures années de sa vie, c’est peut-être pour ça) d'autant plus qu'il est fâché avec la moitié de ses frères et considère leurs enfants (nos cousins) comme des imbéciles heureux. 
Bref. 
Nous quittons Nantes et son brouillard glacial pour nous retrouver par la grâce des transports aériens sous le soleil glacial de Montpellier une heure plus tard. Malheureusement, la compagnie aérienne a égaré nos bagages et c'est fâcheux puisque la grosse valise contient tous les cadeaux et la plupart de nos sous-vêtements. Je minimise l'incident, je m'en remets aux divinités du Low Cost pour récupérer nos affaires d'ici le lendemain. On va pas se laisser bousiller le moral par des petits problèmes d'intendance.
Malheureusement, dans l'immense et désormais un peu vide appartement paternel depuis que maman ne l’emplit plus de son constant babil, l'ambiance n'est pas non plus à la fête. Papa fait des maniaqueries et des raisonnements sans fin. Sur la bouilloire qu'il faut remplir avec la carafe qui enlève le calcaire de l'eau du robinet, et qu'il ne faut surtout pas laisser bouillir parce que ça gaspille de l'électricité alors que l'eau est chaude bien avant que la bouilloire s’arrête, sur le régime hypoglucidique qui me permettrait de perdre ces quelques kilos disgracieux, sur ceci est sur cela, et pas de Dali et pas de Gala. 
J'ai connu sa nouvelle compagne plus combative, moins soumise, j'ai bien peur qu'elle prenne le même chemin que maman et qu'elle le laisse dire par lassitude car il revient toujours à la charge et quand il interrompt son monologue au cours du repas pour vaquer à une tache domestique, quand il revient à table il reprend exactement là où il s'était arrêté, aussi précis qu'un magnétoscope mis en pause. 
Pendant son absence, j’ai d’ailleurs prédit le mot-clé à partir duquel il va reprendre, ce qu’il ne manque pas de faire, et qui déclenche le fou-rire de ma fille. 
C’est toujours ça de pris. 
À ce stade, la communication n'est qu'un leurre. Il est l'émetteur, nous sommes les récepteurs. 
Bon, nous savions ce que nous allions trouver, on va essayer de s'en accommoder. 


Nous faisons de grandes balades dans Montpellier, il y a encore quelques cadeaux à acheter, le centre-ville a été réhabilité et les ruelles resplendissent d'ocre médiéval ravivé. 
La ville s’est embellie et boboïsée depuis 30 ans que je n’y vis plus, et les façades de ses lourdes bâtisses occitanes ont toutes été briquées jusqu'au sang. Les voitures et les déjections canines ont été progressivement bannies du centre-ville historique, et c'est un bienfait pour les piétons. Mes frustrations et mes désarrois d'étudiant dépressif – je peux encore les géolocaliser de mémoire en parcourant les boyaux du centre historique – ont perdu le pouvoir de me nuire, ou alors le temps les a enduits d'une patine de miséricorde anti-inflammatoire, le long de ces ruelles aujourd'hui détartrées dans lesquelles on ne pouvait se promener sans tomber sur un marocain qui essayer de vous vendre une barrette de chiite merdique, et d'ailleurs c’est pour ça qu'on y allait. 

Rue Jules Latreilhe, où j’ai vécu les années les plus alcaloïdes de ma vie, la librairie de bandes dessinées d'occasion Moustache et Trottinette, somptueuse cave voûtée qui sentait le vieux papier et où l'on pouvait farfouiller des heures durant dans des caisses où s’était sédimenté tout ce qui s'est publié dans les années 70 ainsi que l'essentiel du polar et de la SF de l’époque a disparu, laissant la place à un graveur. Ce qui aurait jadis été ressenti comme une perte irréparable est aujourd'hui accepté sur l'air de « Toute chose doit partir un jour » (Wild Palms)






dicté couché sur mon iPad pour cause de lombalgie aigüe - ouille !

mercredi 28 décembre 2016

Nova Verba, Mundus Novus


Concours improvisé de cartes de voeux dépressives avec un copain.

C’est absurde, parce que pour moi, 2016 a été plutôt moins pourri que 2015, 14, 13 et 12.

Tant pis.
Tout est déjà chez l’imprimeur.
Je vais aller les vendre à Berlin.




[Edit] 
J'ai retrouvé celle de l'an dernier, toujours d'actualité.
Allez en paix.
Houellebecq Akbar.